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Compte-rendu : Le génie de Puccini à l’oeuvre - Manon Lescaut à l’Opéra de Lyon

On ne voit quasiment plus la Manon Lescaut de Puccini, comme si l’auteur subissait le sort qu’il avait réservé à Leoncavallo avec Bohème : le quasi-ouvrage homonyme (Manon, simplement) de Massenet l’éclipse. Et bien cette éclipse est une injustice.

On connaît l’histoire complexe du livret, où pas moins de sept auteurs (dont justement Leoncavallo, mais aussi Giulio Riccordi, son éditeur, et finalement le compositeur lui même) mirent la main, les trois années qu’il fallut à Puccini pour mener l’entreprise à terme contre les seuls douze mois qu’il y escomptait en prenant la plume, la création prudemment éloignée de la Scala où s’était déroulé le four d’Edgard quatre ans plus tôt, transportée au Regio de Turin et finalement triomphale.

Manon Lescaut, c’est simplement la naissance du grand Puccini. On ne soulignera jamais assez à quelle maîtrise y parvient son orchestre, et surtout dans quelle diversité de timbres et d’inspirations il s’exprime : du mouvement étourdissant du coche d’Amiens au lyrisme quasiment mahlérien de l’acte à la Nouvelle Orléans, en passant par le grand pastiche XVIIIe du IIe acte ou l’étude de gris colorés hallucinante d’invention de la scène du Havre, le tout unifié par un lacis de thèmes et de motif récurrents. On a beau jeu de souligner que dans Manon Lescaut l’art se voit beaucoup, il vous emporte surtout !

C’est cette profusion que le geste fluide et éloquent de Lluis Pasqual a saisi pour l’Opéra de Lyon (où l’ouvrage n’avait plus paru depuis sa création locale en 1919). Le metteur en scène catalan transpose avec élégance et invention dans les années 30, quasiment à la veille de la seconde guerre mondiale omniprésente avec ses militaires durant le I : le coche d’Amiens est transmué en une étrange gare où Edmond semble régler un mystérieux ballet. Dès le lever de rideau on est saisi par la grammaire du metteur en scène, l’éloquence habile de sa scénographie ; on est plus encore transporté par les éclairages poétiques et mystérieux, pleins d’ombres, de demi-lumières, de sfumato que distille tout au long du spectacle Pascal Mérat. D’Amiens aux Amériques, le fil se déroule avec une invention constante, un vocabulaire physique d’une subtilité étonnante, jusque dans le pastiche du II, où l’on tourne un film en costumes d’époque.

Loin de toute tentation vériste, finement lue dans leur profondeur, livret et musique trouvent dans la langue du metteur en scène un miroir révélateur. Dommage que le chant ne colle pas toujours à la subtilité du jeu. Taille fine mais voix large Svetlana Vassileva emplit la salle comme si elle voulait en faire éclater les murs : ce chant sans subtilité, souvent hurlé, en délicatesse parfois avec la justesse, ne rends en aucun compte des nombreuses subtilités que le compositeur y a couchées. On a Manon devant les yeux, certes, mais on la préférerait presque muette. Des Grieux passionné, un peu frustre, Misha Didyk met dans ses accents un élan ravageur. Lionel Lhote chante avec goût mais sans vraiment saisir le personnage, tout comme le Géronte d’Alexander Teliga. A suivre, Benjamin Bernheim, au ténor haut placé, rayonnant, au timbre plein d’italianita. Les chœurs sont exemplaires, l’orchestre dirigé sec et vif par Kasushi Ono fait saillir les pointes de génie d’une œuvre où Puccini ose d’un coup parler sa vraie langue.

Jean-Charles Hoffelé

Giacomo Puccini, Manon Lescaut, Opéra de Lyon, le 26 janvier, puis le 30 janvier, ainsi que le 1er et le 3 février 2010.

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Photo : DR
 

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