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Compte-rendu : Il Trittico selon Luca Ronconi à l’Opéra Bastille - Triptyque échoué

La méchante péniche penchée du Tabarro, qu’on croirait échouée, avec son lourd réalisme, est-elle l’emblème de ce Trittico venu de la Scala, remplaçant la très poétique lecture de Sylvano Bussoti, montée pour la première fois en 1983 sur la scène scaligère ? On conserve ému le souvenir de celle-ci, d’abord à cause de la direction de Gianandrea Gavazzeni, mêlant subtilement théâtre et esthétisme, ensuite pour quelques incarnations majeures : le Michele de Cappuccilli, la Giorgetta de Sylvia Sass, la Zia Principessa de Dunja Vejzovich (chanteuse largement sous-estimée), la Lauretta de Cecilia Gasdia, et déjà, le Schicchi de Juan Pons.

Le baryton minorquin donnait alors un relief plus accentué à son diable d’homme. Les années passent, élimant la voix mais aussi pour partie l’art de l’acteur. Si aujourd’hui Pons est un Schicchi bien trop sage, il nous fait cependant un Michele finement dessiné, caractère complexe, sans rien de surligné, admirable à sa façon et pas si éloigné que cela de la lassitude et de l’amertume qu’y mettait Piero Cappuccilli. La boucle serait-elle bouclée ? Pour Pons peut-être, mais pour la scénographie vide de toutes perspectives, refusant la moindre interprétation, limitée à une lecture pour ainsi dire morte des trois ouvrages, c’est un sérieux abandon de poste auquel s’est livré Luca Ronconi.

Littéralement cette production n’est que trois décors et Margherita Palli a eu la main bien lourde : terne péniche hyperréaliste pour Il Tabarro, vierge écroulée kitchissime pour une Suor Angelica noyée dans le sucre confessionnel, grand drapé cache-misère pour Gianni Schicchi. Pour une œuvre si inscrite dans les esthétiques de son temps, entre vérisme et symbolisme, la proposition n’est pas courte, elle est simplement inexistante.

Dans cet abandon chacun fait ce qu’il peut : pour Il Tabarro, vaillants et hurleurs, Oksana Dyka et Marco Berti réduisent l’œuvre au point même que la volonté de distance prise ici avec le vérisme par Puccini ne se voit plus. On est à la limite du contresens. Tamar Iveri serait une Suor Angelica parfaite pour Garnier, mais dans Bastille sa ligne se fracture et son instrument se disperse. Admirable Zia Principessa de Luciana D’Intimo, chantant comme elle est, bien trop noble, bien trop humaine pour le monstre que Puccini exige qu’elle soit. Mais l’on emporte d’abord avec soi le frisson tendre de la Genovieffa d’Amel Brahim-Djelloul. Cette voix décidément est un parfum. Fatalement, Gianni Schicchi marche mieux, sa mécanique se passerait d’ailleurs de tout metteur en scène. Mais le hiatus ridicule du héros éponyme en pseudo-costume renaissance avec la famille Donati en grand deuil dix-neuvième est probablement la seule raison de s’esclaffer devant cette lecture brouillonne et convenue. Beau Rinuccio de Saimir Pirgu, au métal presque trop prononcé, Lauretta pas assez touchante (Ekaterina Syurina), famille impeccable, avec quelques trognes formidables (Vernhes, Huchet, Moretto) et au rayon beau chant une révélation, l'Amantio di Nicolao selon Christian Helmer, notaire d'une élégance peu commune.

Puccini a caché le vrai trésor de son Trittico dans l’orchestre. La subtilité des atmosphères du Tabarro, instrumenté avec un art aussi moderniste que confondant – Puccini y paie son tribu et à Richard Strauss et à Alban Berg - le vitrail mouvant de Suor Angelica, le scherzo enjoué et incessant de Gianni Schicchi donnaient à Philippe Jordan l’occasion de dévoiler toutes les subtilités de son art. Décidément son idylle avec l’Orchestre de la Grande Boutique est certaine. Devant tant de clarté montée de la fosse on songeait que le morne spectacle de Ronconi avait d’abord manqué d’un vrai éclairagiste. Mais un génie des lumières aurait-il pu le rédimer ?

Jean-Charles Hoffelé

Puccini : Il Trittico - Opéra Bastille, Paris, le 4 octobre, puis les 7, 10, 12, 14, 16, 21, 25 et 27 octobre 2010. (Attention, les représentations en soirée commencent à 19h et la matinée du 10/10 à 14h30 !)

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