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Compte-rendu : Francesca da Rimini de Zandonai à l’Opéra Bastille - Francesca di Gardone Riviera


Le masque mortuaire de Gabriele D’Annunzio, projeté sur la toile de scène, prévenait en quelque sorte : Giancarlo del Monaco pense d’abord au poète avant même qu’à son musicien. Mais reconduire Francesca da Rimini aux espaces privés de la résidence du poète sur le Lac de Garde, et surtout la transcrire partiellement – l’acte de la bataille de Rimini ne peut évidement y entrer qu’en renâclant très fort- dans l’époque de l’écrivain est-elle vraiment une bonne idée ?

Pas forcément. D’abord à cause de l’esthétique même qu’affectionnait le poète, surchargée, débordée d’antiques et pourtant cédant au goût de Mariano Fortuny pour les plumes de paon et les soieries perlées – l’Abbé Mugnier a laissé une description éloquente de la surcharge à laquelle il avait converti son modeste appartement parisien lors de son exil – qui rend la scène illisible durant tout le I : impossible jardin, kitschissime, qui n’a plus rien à voir avec la simplicité de celui des Polenta à Ravenne ( ni même avec ceux du Vittoriale) . Ensuite parce que Zandonai a été fasciné par la dimension historique du sujet, et que son éloignement dans le temps a agi sur lui avec toute la puissance de l’exotisme. Se priver de cette dimension c’est en partie renoncer à la vérité de l’œuvre, plus encore, à ce qui produit une grande part de sa puissance.

Prisonnier de son projet, Giancarlo del Monaco continue, acte après acte, sa visite dans le musée d’Annunzien qu’est Il Vittoriale degli italiani, jusqu’à confondre la chambre de Francesca avec celle de l’auteur d’Il Fuoco, et même si Carlo Centolavigna s’y montre fidèle jusqu’à l’excellence, fatalement ses décors pèsent sur l’action elle-même, l’étouffent. Et l’on sourit lorsque Giovanni Lo Sciancato sort de la proue d’un bateau à l’esthétique mussolinienne : même la corvette échouée dans les jardins du Vittoriale ne nous aura pas été épargnée. Dans ce théâtre de citations le geste dramatique de Giancarlo del Monaco ne dépasse pas la pure convention.

On a beau jeu de critiquer, mais au moins Paris aura vu Francesca, et surtout l’aura entendue : on se souvient bien sûr du concert de Nello Santi à Radio France en 1976, avec la Francesca inapprochable d’Ilva Ligabue, mais le cast assemblé par Nicolas Joël ne souffre d’aucune faiblesse. Contre toute attente Svetla Vassileva domine son grand instrument et retrouve des aigus pianos, elle irradie tout au long des quatre actes et décline toutes les étapes de son vertige amoureux, les Verruchio sont terribles à souhait, vite acharner à la perte de leur frère, avec une mention spéciale pour George Gagnidze, Giovanni hautain et rustre à la fois, quelle présence ! Chœurs admirablement préparés (peut-être un peu nombreux dans les coulisses au I), équipe de chant finement appariée, où brille particulièrement la Garsenda de Manuela Bisceglie.

Mais le triomphateur attendu de la soirée reste bien Roberto Alagna, vaillant, ardent, phrasant comme un Dieu, chassant sur les terres de Domingo. Admirable. Daniel Oren mène tout son monde vaillamment, un peu trop d’ailleurs : il faut ici prendre plus son temps, la musique de Zandonaï a besoin de se poser pour développer ses envoûtants espaces poétiques, et pas seulement lors des concerts en scène où brillait le troublant violoncelle de Cyrille Lacrouts. A mesure des représentations, gageons que l’exact tactus de cette musique trop oubliée s’imposera de lui-même. Pour l’heure, saluons bien bas cette nécessaire et courageuse réévaluation.

Jean-Charles Hoffelé

Zandonai : Francesca da Rimini - Paris, Opéra Bastille, le 31 janvier, prochaines représentations les 3, 6, 9, 12, 16, 19 et 21 février 2011

www.operadeparis.fr

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Photo : DR

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