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Compte-rendu - Festival de Verbier - Le choc des cultures

Plus encore que les contrastes météorologiques entre pluie diluvienne et soleil enchanteur, la cohabitation entre le Festival de musique de Verbier au public trié sur le volet et l’arrivée d’une étape du populaire Tour de France constitue un moment unique qui ne manque pas de saveur. Toutefois, les concerts qui se succèdent en ce début de Festival de Verbier participent aussi de cette impression presque dichotomique.

Lever de rideau sous la tente de la Salle Médran avec l’exécution du Concerto pour violon de Brahms par Vadim Repin, approximatif, peu concerné, sans doute gêné par l’humidité ambiante. Le Suisse Charles Dutoit, nouveau directeur musical du Verbier Festival Orchestra (formé de jeunes de moins de 25 ans recrutés par audition dans plusieurs capitales du monde), paraît lui aussi peu inspiré dans l’accompagnement du soliste. Mais, après l’entracte, le chef se révèle d’une efficacité spectaculaire dans la Symphonie alpestre de Strauss, conduite de main de maître avec un caractère théâtral bien adapté au lieu.

La comparaison inévitable entre les pianistes présents à Verbier montre non seulement des oppositions de styles, mais aussi des conceptions inconciliables. Dans l’église de la station, David Fray est le partenaire sensible et attentif du violoniste Valeriy Sokolov, au jeu sobre, juste, aux limites de l’académisme (Sonates n°6 et 7 de Beethoven, Sonate n°4 de Bach). Peu après, Jean-Frédéric Neuburger donne un récital d’une densité presque excessive où Brahms (Chaconne en ré mineur de Bach transcrite pour la main gauche, Sonate n°2 op 2) voisine avec Ravel (La Valse) et Dutilleux (Sonate). La sûreté technique, la domination du texte n’empêchent pourtant pas un manque de sensualité et une approche plus intellectuelle que sentie dont seul Dutilleux sort vainqueur.

Avec l’Argentin Nelson Goerner (photo), le lendemain dans le même lieu, changement de registre comme si l’on avait, entre temps, changé d’instrument. Les trois Klavierstücke D. 946 de Schubert sont soulevés par un geste lisztien digne de la Wanderer-Fantaisie. La richesse de la palette sonore, la qualité de timbre, s’accordent pour livrer une vision de la Sonate « Les Adieux » de Beethoven, organique, sanguine et d’une poésie au charme prenant. La dimension architecturale de la Sonate n°3 de Chopin, emportée par un piano conquérant qui sait aussi doser de manière infinitésimale les nuances et le rubato, prouve combien Goerner est devenu avec humilité l’un des plus grands interprètes de notre époque.

Rien de plus antinomique que le clavier de Evgeny Kissin, le soir même Salle Médran pour un récital Prokofiev-Chopin. Aucune intimité dans ce jeu démonstratif qui peut subjuguer par sa dimension tellurique (Sonate n°8) ou laisser perplexe par son manque d’intériorité, sa violence, voire son fracas (Etudes op 10 n°12 et op 25 n°11) aggravé par une absence rédhibitoire de respiration (Polonaise-Fantaisie op 61 ou Mazurka op 59 n°1).

La veille, le chef Jean-Christophe Spinosi à la tête du Verbier Festival Chamber Orchestra faisait oublier toute la tendresse de Mozart (une Symphonie « Haffner » bousculée par des coups de boutoir). Avec la participation de la Collegiate Chorale venue de New-York, il n’élevait pas davantage le Requiem de Fauré sur les cimes, malgré la pureté de la voix de Sandrine Piau venue d’un monde céleste.

Michel Le Naour

Festival de Verbier, les 17, 18 et 19 juillet 2009

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Photo : DR
 

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