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Compte-rendu : Festival de Prades - Au bonheur des chambristes

Le 1er juin 1950, à l’église Saint-Pierre, s’ouvrait le 1er Festival de Prades. Soixante ans plus tard, la manifestation initiée par Pablo Casals(1) n’a rien perdu de son attractivité comme vient de le prouver une édition anniversaire de très haut niveau suivie par un public nombreux. La frime, les paillettes, les soirées où l’événement se déroule plus sur les rangs des « pipeules » que sur la scène : très peu pour un festival où l’on préfère depuis toujours fêter la musique de chambre avec autant de simplicité que de ferveur. Car de musique de chambre il est toujours question à Prades ; lors des concerts de fin d’après-midi et du soir évidemment, mais aussi au sein d’une Académie de musique qui, avec 164 stagiaires, dépassait cette année tous ses records de fréquentation.

Prades aura comblé les amoureux de musique française lors d’une soirée « Paris au temps de Casals ». Alexandre Brussilovsky, Gil Sharon, Hartmut Rhode, Philippe Muller, Jean-Louis Capezzali, etc. : la fine équipe de Prades est sur scène pour le Prélude à l’après-midi d’un faune dans la transcription de Hans Eisler, mais c’est d’abord – et pour cause ! – la sonorité riche et charnue, parfaitement projetée, du flûtiste Jacques Zoon (photo) que l’on retient au terme d’une interprétation envoûtante.
Entre fraîcheur et mélancolie, le Trio pour hautbois, basson et piano de Poulenc touche à la perfection avec Jean-Louis Capezzali et Carlo Colombo, le piano lumineux et tendre de Natsuko Inoue offrant une réplique d’un style impeccable à ces deux souffleurs inspirés.

Jacques Zoon fait à nouveau le bonheur de l’auditoire dans la Sérénade op 30 de Roussel, partagée avec Isabelle Moretti, Alexandre Brussilovsky, Nobuko Imai et Arto Noras. Lyrisme, foisonnement de timbres, secrète mélancolie (l’Andante) : quel dommage qu’un tel bijou ne soit pas plus souvent donné au concert ! Tout l’intérêt d’un festival tel que Prades est justement de pouvoir aisément réunir l’effectif requis pour l’Opus 30, tout comme pour l’Introduction et allegro de Ravel où la harpe d’Isabelle Moretti, miraculeuse de fluidité et de souplesse, parvient avec la complicité de Jacques Zoon, Michel Lethiec et du Quatuor Talich à la plus vibrante et lumineuse des interprétations.
Le mot de la fin revient à Gabriel Fauré et son 1er Quatuor avec piano dont Jeremy Menuhin, Olivier Charlier, Bruno Pasquier et Ivan Monighetti défendent une conception allante, sensible, nullement compassée.

Prades ne néglige pas pour autant le répertoire germanique : il reprend ses droits dès le lendemain avec la Sonate « à Kreutzer » par Kyoko Takezawa et Peter Frankl. Soixante-douze printemps ? On a du mal à le croire en découvrant l’énergie et l’impeccable sens de la construction avec lesquels le pianiste répond à l’archet de l’artiste japonaise dans un Beethoven sanguin et généreux.
D’un aussi bel appétit, Kyoko Takezawa s’empare ensuite avec l’aide du Quatuor Talich des savoureuses Variations sur le chant des paysans du Canigou « Montanyas Regaladas » du Français Rodolphe Kreutzer - une redécouverte qui s’imposait pour un concert à Villefranche-de-Conflent !
Les 60 ans du Festival sont aussi prétexte a un passage en revue des diverses commandes passées depuis de nombreuses années. En 2000, le Catalan Salvador Brotons rendait hommage à Pau Casals avec un Septuor dont le lyrisme et la poésie naïve sont bien rendus dans les deux extraits choisis par Jacques Zoon, Michel Lethiec, Niek de Groot et les Talich. Après l’hommage, Casals compositeur conclut avec le « Sant Marti del Canigo » pour ensemble de violoncelles, chanté à pleins poumons par François Salque et des stagiaires de l’Académie.

Chaque dimanche soir, le Festival abandonnait cette année l’abbaye Saint-Michel de Cuxa au profit de l’église Saint-Pierre, en plein cœur de Prades. Mozart est l’unique objet du concert du 8 août ; le jeune compositeur salzbourgeois d’abord avec le Divertimento pour hautbois, deux cors et cordes, KV 251 qui chante, rit, s’amuse, mené avec fraîcheur, tendresse et insouciance par Jean-Louis Capezzali, Richard Watkins et l’un de ses brillants élèves de l’Académie et des cordes parfaites, du violon de Jan Talich à la contrebasse de Niek de Groot. Savoureuse mise en bouche avant l’entrée en scène attendue de Dame Felicity Lott pour trois airs de Nozze (« Voi che sapete », « Porgi amor », « Deh vieni ») interprétés avec autant de classe que de musicalité. Les nombreux jeunes de l’Académie qui ont rejoint leurs professeurs sur scène pour constituer un véritable orchestre de chambre sont aux anges…

En conclusion le Quatuor Artis et la merveilleuse Nobuko Imai signent un Quintette à deux altos K. 515 aussi épuré que poétique. Le public se délecte avec, parmi lui, deux membres du Fine Arts Quartet qui font étape sur la route qui les mène vers le Périgord. Ils sont venus, en amis ; c’est cela aussi l’esprit de Prades…

A noter enfin un concert « Génération Spedidam » sur le thème « Grands compositeurs à Paris au temps de Casals ». On a déjà eu l’occasion d’entendre fin juillet au Festival de Rouffach plusieurs de ces jeunes instrumentistes, tel l’archet généreux de Damien Ventula ou la violoniste Charlotte Julliard, complice ici de sa collègue Pauline Fritsch(2) dans la Sonate pour deux violons op 56 de Prokofiev. On découvre en revanche - et avec quel bonheur ! - le jeu racé du clarinettiste Julien Hervé, aussi convaincant dans les Trois pièces pour clarinette seule de Stravinski, idéalement caractérisées, que la rare Sonate en un mouvement, op post. (1939) de Tchérepnine ou la Suite de L'histoire du soldat, avec pour partenaires Charlotte Julliard et le pianiste Giulio Biddau ( le 1er Prix du Concours Lauréats Spédidam en septembre 2009 à Aix).

Alain Cochard

(1) Rappelons à tous les admirateurs du violoncelliste catalan l’existence d’un très beau documentaire réalisé par Alain Jomy : « Pablo Casals, un musicien dans le monde » (1 DVD Zone 2)

(2) Les deux violonistes forment avec l’altiste Sarah Chenaf et la violoncelliste Juliette Salmona le très prometteur Quatuor Zaïde, distingué par le Prix de la presse internationale lors du dernier Concours de Bordeaux.

Festival de Prades, Prades, Eus, Villefranche-de-Conflent, les 7 et 8 août 2010

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Photo : DR
 

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