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Compte-rendu - Chute(s) en création à Royaumont - Poésie du vertige


La Fondation Royaumont est d’abord associée à la musique ancienne et baroque ; bien des concerts à venir jusqu’au 18 octobre ne feront d’ailleurs que conforter cette opinion. Il n’en demeure pas moins que la création contemporaine occupe une place non négligeable dans les activités de l’institution, comme l’a rappelé le week-end inaugural de la saison 2009, marqué par la première de Chute(s), spectacle multimédia pour ensemble, électronique et vidéo de Paolo Pachini.

Tandis que ses deux précédentes réalisations pour Royaumont, An Index of Metals et Il Diluvio, avaient amené le vidéaste italien à travailler avec un seul compositeur à chaque fois, feu Fausto Romitelli et Mauro Lanza, Chute(s) consiste en trois tableaux indépendants (une heure en tout) - Charge, Tunneling et Staub - confiés à des compositeurs différents : Raphaël Cendo, Martin Matalon et Michael Jarrell. Comme l’écrit Marc Texier, directeur de « Voix nouvelles » à Royaumont, « il ne s’agit aucunement de la représentation réaliste de la chute - malgré la présence de sujets humains dans l’image - mais, par un dispositif sonore et visuel original de faire physiquement éprouver à l’auditeur la sensation du vertige, la désorientation nauséeuse qu’il induit en nous, l’impression de chute sans fin, l’horizon tournoyant, les repères visuels contredits par le sens de l’équilibre. »

Vision à l’état brut, sans le barda métaphysico-psychanalytique auquel le sujet pouvait prêter, l’option choisie par Paolo Pachini est revendiquée avec une rare force dans un premier tableau où des corps humains mais aussi un quartier de boeuf, placés dans le cadre d’une friche industrielle, produisent un effet saisissant – on ne saurait dire par les mots la virtuosité avec laquelle les images se succèdent, s’assemblent ou se répondent sur les deux écrans verticaux disposés dans le réfectoire des moines. Chair, acier, rouille : la dissonance entre les divers éléments mis en scène est amplifiée avec une violence et une stridence extrêmes par la musique de Raphaël Cendo dont l’exacerbation du propos fait écho à la folie de Pachini.
Non moins abouti, le volet central, Tunneling, joue la carte d’un univers visuel abstrait et onirique auquel Martin Matalon apporte un contrepoint sonore dont la fluidité répond à la mobilité et la netteté géométrique des images.

Staub (poussière) : au terme de la chute, la mort, le pourrissement ; ces thèmes délicats, pour ne pas dire franchement casse-gueule, sont abordés de manière hélas moins convaincante par Paolo Pachini… Froideur esthétisante d’images qui pourraient être celles d’une morgue affectionnant les couleurs vives, recours obsessionnel - et lassant - à des fleurs (des roses rouges, blanches et noires) et à des aliments divers dans lesquels les pâles visages de belles figurantes aiment à s’enfoncer, et pour finir morceaux d’os et poussière. Après la virtuosité et la force des deux premières parties, on reste franchement sur sa faim – si l’on peut dire ! – avec ce final assez convenu, d’autant que la musique de Michel Jarrell n’apporte qu’un pâle habillage sonore et ne se préoccupe guère du rythme des images – ce hiatus constituant le principal point faible du tableau.

Mais ces réserves ne parviennent aucunement à effacer l’impression plus que positive laissée par Charge et Tunneling, franches réussites de Pachini, Cendo et Matalon, superbement servis par les instrumentistes de l’Ensemble Musikfabrik. Pour ces deux visions de la chute et la poésie du vertige qu’elles dégagent, ce spectacle appelé à circuler en France durant la saison qui s’ouvre mérite d’être découvert - sans hésitation !

Alain Cochard

Fondation Royaumont, samedi 29 août 2009

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Photo : DR

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