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Compte-rendu : Barcelone / Triomphe pour Cio « Fifi Brin d'acier » ! - La fille du régiment au Liceu

Que ceux qui n'ont pas encore eu la chance de voir La fille du régiment réalisée par Laurent Pelly se rassurent : cette irrésistible production, aussi drôle que sensible vue à New York, Londres, Vienne et San Francisco est en passe de devenir un classique que les grandes scènes s'arrachent. La soirée barcelonaise du 13 mars restera sans doute dans les annales par son atmosphère électrique, la qualité de son exécution et l'accueil qui lui a été réservé. Saluons tout d'abord la bondissante direction du chef Yves Abel qui embrasse dans un même geste, l'aspect comique des situations, sans oublier de souligner la mélancolie inhérente à certains passages. Si l'orchestre est loin de posséder les subtilités requises par l'écriture donizettienne, l'accompagnement s'avère correct et le résultat satisfaisant.

Comme à son habitude, Laurent Pelly et ses fidèles comparses s'emparent de leur sujet avec humour en transposant l'action dans un univers tout droit sorti d'un vieux livre pour enfants. Marie, la cantinière, est une Fifi Brin d'acier plus vraie que nature, qui croule sous les tâches ménagères de son régiment, arrêté un moment dans les Alpes autrichiennes. La topographie des lieux est traduite, au 1er acte, par un sol composé de cartes géantes froissées qui simulent les montagnes du Tyrol, une corde à linge, quelques lits pliants, une armada de bassines et des ballots de sous-vêtements rappelant le quotidien de Marie. Un parquet de guingois et quelques parois de bois symbolisent, au second acte, le château de Berkenfield dans lequel on tente de refaire l'éducation de Marie. On reconnaît bien sur l'esthétique de Pelly, l'art avec lequel il se joue des codes et inocule une dose de fantaisie, comme toujours gérée avec habileté au gré de jeux de scène épatants et inattendus, telle que l'arrivée du char au final, conduit par Tonio venu sauver sa belle.

Véritable triomphatrice de la soirée, Patrizia Ciofi retrouve non seulement le rôle de Marie qu'elle a interprété à Gênes en 2005 avec Florez (Dvd Decca), mais également Pelly qui l'a admirablement dirigée dans Les Contes d'Hoffmann (Marseille) et Gianni Schicchi (Palais Garnier). Impayable en garçon manqué, elle fait vite oublier Natalie Dessay toujours au bord de l'hystérie, s'intégrant à ce concept avec naturel et ce qui n'appartient qu'à elle, cette douce et étreignante nostalgie qui accompagne les moments de doute que réserve cet opéra comique. Trépidante, elle ne se ménage pas, sautant, remuant, se démenant avec une énergie communicative, de l'inénarrable scène de la table à repasser, à celle de la leçon de chant, en passant pas le duo des aveux amoureux avec Tonio, déclenchant à la fois le rire avec des dialogues parlés revus et corrigés et l'émotion, avec une égale délicatesse.Vocalement le rôle lui va comme un gant, son timbre légèrement voilé conférant à son personnage androgyne une vraie sensibilité surtout dans le premier lamento "Il faut partir", conduit archet à la corde avec un sens inné de la déclamation belcantiste, l'égérie du régiment mettant quand il le faut le feu aux poudres avec un « Salut à la France » survolté.

Juan Diego Florez a beau bisser « Pour mon âme » et doubler le nombre de contre-uts, il n'en reste pas moins vrai que son Tonio est pauvre en nuances et techniquement peu développé, son personnage de benêt manquant d'une véritable présence scénique. Pietro Spagnoli est un formidable Sulpice, plaisamment entouré par Victoria Livengood euphorisante Marquise de Berkenfield flanquée de son dévoué Hortensius, drôlissime Alex Sanmarti, tandis que Angel Pavlovsky célèbre travesti "local", amuse la galerie avec « sa » Duchesse de Crakentorp. Souhaitons maintenant que Paris convoque à son tour ce Régiment, au grand complet, Ciofi en tête.

François Lesueur

Donizetti : La fille du régiment - Barcelone, Gran Teatre del Liceu, 13 mars 2010

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Photo : Antoni Bofill
 

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