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Compte-rendu : Andrea Chénier prend la Bastille

C’est fait, Andrea Chénier a conquis Paris. Il s’en était brillamment approché voici quelques lustres, Versailles l’avait vu sous les traits et l’ardeur vocale de Placido Domingo, univoque, ravageur, véritable petit-fils de Corelli.

Marcelo Alvarez y met d’autres subtilités, et pas seulement vocales ; ses emportements du I, sa protestation ardente devant Fouquier-Tinville, mais aussi une certaine fragilité lorsque Maddalena paraît – leurs duos étaient subtilement détaillés. Décidément ce poète n’est révolutionnaire que par lacune, il porte une sorte de lyrisme triste que la subtilité de la voix relaye, et qui donne au personnage bien des arrière-plans ; un souvenir de Gigli passe dans ce chant, ce n’est pas rien.

Tout aussi individuelle, la Maddalena de Micaela Carosi va de la timidité au destin d’un seul geste, voix glorieuse capable aussi bien d’allégement que de puissance, donnant aux mots d’Illica un relief saisissant, se gardant bien de faire du chant classique, et au contraire parlant dans son chant, filiation Callas-Scotto plutôt que Ponselle-Tebaldi. Un port de reine, un talent naturel pour la scène, et dans la Mamma morta enfin les césures qui place avec art cette page devenue célébrissime depuis « Philadelphia » entre récit et air. C’est rendre à Giordano une part de son génie, et souligner l’éclairage particulier qu’il apporte au vérisme et que Fedora, deux années plus tard, confirmera et étendra.

On reste un peu en dessous avec le Gérard en grande voix mais sans ligne de Sergei Murzaev, à l’italien un peu trop en voyelles, et l’on se rembourse avec la théorie de silhouettes dont Giordano a pimenté ses tableaux vivants de la Révolution : l’élégance de la Bersi de Francesca Franci, le Roucher d’Heyboer, la Comtesse raide et amère de Stefania Toczyska, Bizic, terrible Mathieu. Et au-delà de la silhouette, émouvante, vraie tragédienne et toujours aussi fine chanteuse, la Madelon de Maria José Montiel.

La régie de Giancarlo del Monaco ne cherche pas midi à quatorze heures, et il vaut mieux car la seule proposition qu’il fait, réduire (ironiquement ?) l ‘assemblée noble chez Coigny à un peuple de zombies (avec ébranlement fumeux du palais au tombé de rideau), laisse songeur. Toujours au I, quelques invraisemblances devront être corrigées : il serait bon que les chandeliers soient allumés lorsque la Comtesse le demande et pas préalablement, et elle devrait adresser son compliment sur l’élégance de l’épouse à d’autre figurants qu’une paire de dames.

Ailleurs tout fonctionne, avec force costumes et drapeaux, une animation de la scène au II excitante, un sens du théâtre efficace et décoratif à la fois, tout un art auquel l’Opéra de Paris avait tourné le dos depuis quelques temps. L’on sent que bien des confrères peinent à ce retour pourtant salvateur, du moins pour qui veut que l’opéra reste l’opéra.

Et dans cette débauche de vrai luxe un effet poétique sidérant : le Tribunal révolutionnaire siège dans un théâtre ravagé par l’incendie. Le voir prendre sa place en scène, venant du noir total, coupe le souffle : Carlo Centolavigna a réalisé là un de ces tours de force dont il reste coutumier. Décorateur de Zeffirelli, ses structures sont souvent des éléments dramatiques en soi, et ce théâtre à la coupole crevée en est assurément un des exemples les plus éloquents.

Héros de la soirée, comme pour la reprise de Bohème, Daniel Oren dirige avec sa passion coutumière et la fosse et le plateau : exact et expressif, toujours dans l’angle de la note ou la consonne du mot, formidable coloriste (et lorsqu’on le suscite dans cette direction, l’orchestre de l’Opéra s’y entend), il parvient même à faire attaquer les pupitres. Sans affectation, sans effet redondant, le drame suit sa course. Nous donnera-t-il demain Fedora, et hors Giordano, Francesca da Rimini, Risurrezione, ou La campana sommersa ? Avec un tel chef tout un certain répertoire lyrique italien peut sereinement renaître.

Jean-Charles Hoffelé

Umberto Giordano : Andrea Chénier - Paris, Opéra Bastille, Paris, le 3 décembre, puis les 6, 9, 12, 15, 18, 11, 21 et 24 décembre 2009

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Photo : Opéra national de Paris/ Mirco Magliocca
 

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