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Claudio Abbado (1933-2014) - L’Intelligence sensible d’un humaniste - Hommage Concertclassic

Il était, et se savait, en sursis depuis l’an 2000 date de son opération d’un cancer de l’estomac : Claudio Abbado est mort le 20 janvier à Bologne au terme d’une carrière qui l’aura conduit aux postes musicaux les plus enviés d’Europe dans les pas de Karajan, de la Scala de Milan à l’Opéra de Vienne en passant par le Festival de Salzbourg et le Philharmonique de Berlin.
Mais la comparaison s’arrête à la pratique artistique : car Abbado afficha jusqu’au bout le plus souverain et le plus déterminé mépris pour l’arrivisme publicitaire. Cet authentique humaniste italien de gauche ne croyait pas aux vertus de la communication et il sut être généreux toute sa vie dans la discrétion absolue, loin des spots publicitaires qui fascinent ses semblables tant ils croient qu’ils peuvent servir leur carrière.
S’il naît à Milan en 1933 – année fatidique – sa famille est sarde avec de lointaines origines arabes. Il me confia un jour quelle émotion l’envahissait, chaque fois, à l’approche de l’île de ses ancêtres où il allait se ressourcer et faire du bateau tous les étés quand il percevait les premières odeurs du maquis sarde. Esthète, mais pas ascète, Abbado aimait la vie, la nature, les femmes et le vin – le bourgogne en particulier. Il avait son cercle d’amis aussi fidèle que restreint au sein duquel il se protégeait.
Autour du surintendant de la Scala Paolo Grassi, ses proches s’appelaient Giorgio Strehler, le metteur en scène, le compositeur Luigi Nono, gendre de Schoenberg, dont il créa de nombreuses œuvres à Venise, et le pianiste Maurizio Pollini, complice de toujours et surtout depuis qu’un doigt cassé au football brisa net la carrière de pianiste d’Abbado ! C’est ce groupe qui l’aida à organiser les premiers concerts dans les usines et les prisons.
Milan avait été conquis par la botte autrichienne, il est normal que les musiciens italiens empruntent à leur tour la route de Vienne où se rendit le tout jeune Abbado allant jusqu’à chanter dans une chorale pour mieux approcher les grandes baguettes d’après guerre, Böhm en tête. Il refusa toujours l’Amérique et choisit l’Europe avec détermination. Karajan fit débuter le petit jeune par un concert à Salzbourg avant de l’y inviter en 1968 pour un inoubliable Barbier de Séville dont le succès rendit son aîné prudent… Ce fut le début d’une magnifique aventure avec Rossini au Festival de Pesaro, dont le fameux Voyage à Reims. Il y eut alors la glorieuse décennie à la Scala de Milan avec les perles de Verdi et ce Wozzeck de Berg que Liebermann invita à l’Opéra de Paris, mais Abbado sa méfia toujours de l’esprit frondeur des instrumentistes parisiens… jusqu’à cette Carmen qu’il devait donner avec Teresa Berganza à l’Opéra Comique…
 
Karajan mourut et certains chefs commandèrent les petits fours, forts de l’efficacité de leur communication…mais c’est la diplomatie secrète du Sarde qui l’emporta ! Abbado passa dix ans à la Philharmonie de Berlin, puis il se retrouva grand maître de la musique à Vienne : un comble, et une belle revanche pour un Italien ! Sa dernière apparition lyrique en France remonte au Don Giovanni de Mozart que Stéphane Lissner avait confié pour ses débuts au Festival d’Aix-en-Provence à Peter Brook. C’est là d’ailleurs qu’Abbado ressentit les premières atteintes de son cancer.
Comme d’autres outre Atlantique, Abbado s’est voué au renouvellement des musiciens et des orchestres. Par-delà les frontières, et dès avant la chute du mur de Berlin en 1989, il créa l’Orchestre des jeunes Gustav Mahler qui devait avoir beaucoup de petits frères au gré des sessions que le maestro dirigea dans le Dolomites, puis à Ferrare. Une Française, qui fut son assistante pour Pelléas et Mélisande à l’Opéra de Vienne, Claire Gibault, fut associée à ce travail en  faveur des jeunes instrumentistes européens. 
Après sa maladie, ses concerts se firent plus rares et Abbado réunit nombre de ses amis à la manière de Casals à Prades, en un orchestre au Festival de Lucerne où l’on put constater combien l’expérience qu’il avait vécue avait approfondi sa vision des œuvres, notamment de Bruckner et de Beethoven. Ceux qui ont vu à la télévision sa frêle silhouette irradier autant de bonheur avec une telle force ne l’oublieront pas de sitôt.
 
Jacques Doucelin

NB : La chaîne Arte rend hommage à Claudio Abbado le dimanche 26 janvier à 17h15 et 18h15. Le site arteliveweb consacre la soiré du 26 janvier à Abbado et rediffuse le concert d'ouverture du Fesival de Lucerne 2013

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