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Chostakovitch par le Mandelring Quartett à Salzbourg - Mémorable intégrale - Compte-rendu



Idée merveilleuse de la part du Festival de Salzbourg : programmer, sur deux matinées-soirées successives, l’ensemble des quinze quatuors de Chostakovitch exécutés par le Mandelring Quartett. Formidable pari, gagné de façon magistrale : excellence et unité de l’interprétation lors de ces concerts proposant, dans l’ordre chronologique, les huit premiers opus d’abord et les sept autres le lendemain.


Célèbre et couvert de prix à l’étranger, ce Mandelring Quartett ne vient que trop rarement en France ; un disque du Quintette de Schumann avec Claire-Marie Le Guay et un concert au théâtre de l’Athénée, c’est bien mais trop, beaucoup trop peu pour ces dernières années.

Il s’agit d’une entreprise familiale qui dure, sans rupture, depuis plus de vint cinq ans avec : Sebastian Schmidt, premier violon, Nanette Schmidt, deuxième violon, Roland Glassl, alto – seul membre extérieur à la famille - et Bernard Schmidt, violoncelle (ce musicien au son de velours est servi par un instrument napolitain, un Lorenzo Ventapane, du tout début du XIXe siècle).


Depuis l’adolescence, les membres de cette famille jouent ensemble. « Un don de Dieu » murmure mon voisin, lui-même membre de quatre quatuors, avec une prédilection pour Chostakovitch. L’aisance est parfaite et nul signe à s’échanger entre les musiciens pour se comprendre, chacun connaissant au huitième de seconde près, les intentions des autres.
Bien au-delà de la seule virtuosité, l’expression des innombrables idées musicales force l’admiration ; elles se succèdent par séquences brèves et claires, par associations et analogies et fascinent par leur constante variété dans les rythmes, les couleurs, avec des changements aussi difficiles à percevoir à temps que la croissance d’une feuille au printemps, un perpétuel changement dans la tension des cordes jamais en repos.


Les lignes se dessinent, inachevées, passant d’un instrument à l’autre sans dialogue ; monde intérieur et monde extérieur se confondent dans une solitude glacée. D’une étrange pureté, la voix du premier violon se fait fragile, désespérée, face au déferlement quasi orchestral des autres instruments. Quinze quatuors - alors que Chostakovitch en avait programmé vingt-quatre -, à côté des quinze symphonies, dans une écriture d’une précision, d’une perfection insurpassable.
Musique de l’avenir, la modernité pouvant se passer de provocations destructrices du langage grâce à de vraies et innombrables idées neuves et lumineuses, nourries de Haydn, Bach, Beethoven et des compositeurs les plus proches. Les musiciens les mettent remarquablement en valeur. S’y ajoute l’émotion de la nostalgie : le rôle déterminant du souvenir des valses folles jouées lors des fêtes foraines si mélancoliques quand on n’y croit plus mais qui entraînent encore vers on ne sait dans quelle ivresse, au bord du vide. Renaissent, omniprésentes, les danses et des chansons slaves hors d’âge. On peut les confondre avec les airs populaires juifs déchirants toujours associés à des moments positifs, contrairement aux chants russes : clins d’œil, plein de finesse, à l’hostilité au régime, à son antisémitisme violent ?


Deux soirées pour suivre la tragique aventure personnelle inscrite dans l’horreur du temps historique, pour écouter la voix de l’être fou de solitude et celle de la mort. L’humour n’est pas absent, comme dans les camps, quand l’art est au-dessus de tout.

Après ces longues heures, complices, nous étions presque, oserions-nous dire, de cette rare famille dont les membres surent se montrer, ces deux soirs, héroïques, livrant le combat épuisant de la concentration et de la perfection au service de Chostakovitch, jusqu’au bout.




Françoise Ferrand




Festival de Salzbourg - Stiftung Mozarteum, les 18 et 19 août 2011


Site du Quatuor Mandelring : www.mandelringquartett.de



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Photo : Wolfgang Lienbacher

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