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Centenaire du Théâtre des Champs-Elysées - Le Sacre du TCE

Le 30 mars 1913, Gabriel Astruc inaugurait avec le Benvenuto Cellini de Berlioz le théâtre dont il avait rêvé et que lui avait bâti Auguste Perret. L’ouvrage d’art, sis au 15 Avenue Montaigne, engageait les signatures non seulement des frères Perret mais également, pour les décors, celles de Bourdelle et de Maurice Denis, créant un ensemble parfait qui est demeuré depuis en l’état d’origine. La proximité des Champs-Elysées, mais aussi la référence mythique attachée à ceux-ci, allaient donner son nom au théâtre.

On s’accorde pourtant sur une autre date pour la naissance réelle de ce lieu ouvert aux manifestations les plus avant-gardistes de la musique et du ballet. Ce sera la création le 29 mai de la même année, par la compagnie des Ballets Russes, du Sacre du Printemps d’Igor Stravinsky, occasion d’un fameux scandale que le compositeur, dans un texte rédigé en 1961, attribua à la chorégraphie de Diaghilev (celle de Massine pour la reprise de 1921 ne trouvera guère plus grâce à ses yeux…) plutôt qu’à sa musique, soulignant que la seconde création l’année suivante, cette fois en concert sous la direction de Pierre Monteux, fut un franc succès (Stravinsky note même la satisfaction évidente de Saint-Saëns et déclare que lui-même préfère entendre le Sacre au concert plutôt que de le voir dansé).

Mais la Théâtre des Champs-Elysées reste intimement lié à la première création chorégraphique de l’œuvre, et c’est elle que ce lieu mythique a décidé de reconstituer pour célébrer son centenaire. Du 29 au 31 mai, le Ballet du Théâtre Mariinsky remet sur le métier la chorégraphie originale de Nijinski telle que l’avaient remontée Millicent Hodson et Kenneth Archer en 1987 et lui oppose la même soirée la création parisienne de la nouvelle chorégraphie de Sacha Waltz. Atout supplémentaire de ces soirées, la fosse, où Valery Gergiev et son Orchestre du Théâtre Mariinsky déchaîneront le monstre barbare doté pourtant de tout le confort moderne sur lequel Debussy ironisait.

La semaine suivante (du 4 au 7 juin), c’est une autre recréation chorégraphique qui prendra place sur la même scène. Hans Pop redonne vie à la si expressive version proposée par Pina Bausch en 1975, et c’est bien sûr son Tanztheater de Wuppertal qui règle à nouveau ses pas sur ceux de sa légendaire inspiratrice disparue en juin 2009. En première partie on pourra assister à la naissance de cette chorégraphie en visionnant le film Répétition du Sacre du Printemps réalisé le 6 janvier 1987.

Plus dans la marge, la Akram Khan Dance Company propose sa propre lecture libre autour du Sacre, dans un spectacle intitulé In the mind of Igor dont Ruth Little a assuré la dramaturgie (de 24 au 26 juin).

Cette triade de spectacles autour du Sacre du Printemps se paysage de plusieurs parutions remarquables. Le TCE publie un fort ouvrage d’art retraçant son histoire, de sa création à nos jours : quantité d’articles thématiques, une iconographie surabondante reproduisant décors, affiches, archives photographiques, une somme historique et esthétique inédite sur un lieu qui s’est inscrit dans l’histoire de la musique moderne, le tout sous des plumes aussi autorisées que celles de Christian Merlin ou de Rémy Louis et en quelques 600 pages (Editions Verlhac).

Le disque n’est pas en reste, qui célèbre en deux forts coffrets Le Sacre du Printemps : Sony réuni en dix CD (1) présentés dans leurs pochettes d’origine – mais sans les couplages qui les accompagnaient initialement hélas – autant de versions du Sacre qu’elle en a enregistré entre 1930 – Stokowski dont l’orchestre peine à la lecture de l’ouvrage - et 1996 où Michael Tilson Thomas délivre une lecture avant tout analytique (n’y manque que la version Bernstein avec le New York Philharmonic, l’éditeur lui ayant préféré celle du même avec l’Orchestre Symphonique de Londres). Mais les moments de vérité de cette anthologie restent les deux lectures strictes du compositeur (1940 puis 1960) et la première lecture d’un tout jeune Seiji Ozawa avec l’Orchestre Symphonique de Chicago (1968), tout en pleins et en déliés et bien sûr le geste coloré et implacable à la fois, déployé par le créateur de l’œuvre, Pierre Monteux, capté presque quarante ans après la première de l’oeuvre, avec son Orchestre de Boston (1951) mais qui conserve intacts les angles et la fureur de la création.

A cet album absolument historique répond celui, bien plus plantureux – 20 CD, 36 versions de la version orchestre, 3 de la version deux pianos - de Decca (2) qui montre la fortune discographique d’une œuvre devenu le symbole de la musique du XXe siècle. On y retrouve Pierre Monteux cette fois avec l’Orchestre des Concerts du Conservatoire, mais on y croise surtout des chefs aussi différents que Karajan ou Gergiev, Van Beinum auteur d’une des plus belles versions de l’œuvre restée incompréhensiblement méconnue ou Maazel (splendide enregistrement avec les Wiener Philharmoniker), certains chefs revenant plusieurs fois sur la partition (Karajan, Haitink, Maazel, Dorati et Ozawa chacun par deux fois). Le Sacre se prêtant particulièrement à des écoutes comparatives on navigue entre les 20 CD avec un bonheur constant qui permet de recommander cet objet à tout mélomane et pas seulement aux inconditionnels de l’œuvre. L’éditeur a jouté en bonus le Concerto pour violon enregistré par son dédicataire et inspirateur, Samuel Dushkin, sous la direction du compositeur.

Enfin si vous voulez voir Le Sacre du Printemps version symphonique chez vous, procurez vous le très beau concert filmé de l’Orchestre de Paris sous la direction de son directeur musical actuel, Paavo Jarvi, qui propose également Petrouchka et de Debussy le Prélude à l’après midi d’un faune (3), preuve qu’un orchestre français capture une part essentielle de cette partition : la poésie narrative.

Jean-Charles Hoffelé

1) Un coffret de 10 CD Sony 88725461742
2) Un coffret de 20 CD Decca 4783729
3) 1 DVD Electric Pictures EPC05DVD

Le Sacre du Printemps,  chorégraphies de Vaslav Niijinski et de Sacha Waltz par le Ballet et l’Orchestre du Théâtre Mariinsky dir. Valery Gergiev
29, 30, 31 mai 2013 – 20h
Le Sacre du Printemps, chorégraphie de Pina Bausch par le Tanztheater Wuppertal
4, 5, 6, 7 juin 2013 – 20h
In the mind of Igor, chorégraphie d’Akram Khan d’après Le Sacre du Printemps
24, 25, 26 juin 2013 - 20h
Paris- Théâtre des Champs-Elysées
www.theatrechampselysees.fr

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Photo : DR
 

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