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Cendrillon de Jean-Christophe Maillot à l’Opéra Royal de Versailles – Bijou retrouvé – Compte-rendu

Ce Cendrillon de 1999 est l’un des plus jolis, des plus piquants et des plus poétiques ballets d’un Enchanteur Merlin qui a nom Jean-Christophe Maillot. Toujours, le chorégraphe et directeur des Ballets de Monte Carlo a eu un pied dans le cirque, un autre dans l’univers du conte. Il y puise le renouvellement de son inspiration, et cette force imagée qui donne aux histoires humaines leur ancrage dans un imaginaire collectif. Sa Belle au bois Dormant, son Lac, son Casse Noisette, sont autant de rappels d’un monde fantasmagorique, remonté de nos mémoires enfantines, à partir des contes ou des ballets qui s’en inspirent, mais aussi de ruades nerveuses dans ce qui pourrait être poussiéreux ou sucré, afin d’extraire le suc de ces belles et souvent cruelles histoires, que la tradition a souvent trop enjolivées. Ah, l’horreur de la belle-mère de Blanche- neige, l’affreux désir incestueux du père de Peau d’âne - ah l’épouvantable abandon du Petit Poucet et la terreur inspirée par l’ogre !
 
Et Versailles, décidément, aime ces belles histoires au passé chargé, autant que porteur de fastes qui vont bien à son teint. On vit dans ses jardins le sulfureux Blanche-Neige d’Angelin Preljocaj, on y applaudit une autre Cendrillon, celle de Thierry Malandain, avec sa débauche d’escarpins comme des virgules scandant l’histoire. La scène de l’Opéra Royal s’est offert cette fois un Cendrillon vif et touchant, où rien n’est trop appuyé, ni la cruauté burlesque de la partition de Prokofiev, ni les profils grotesques des sœurs de Cendrillon, ni la noirceur de la marâtre. Maillot, par delà son aptitude à déshabiller les âmes, a un autre tour dans son sac, qui est le glamour. Et finalement, il est plus agréable de voir la marâtre devenir quelque sexy Madonna et les sœurs deux pin-ups, que de subir trop de bouffonneries convenues et lassantes.

© Alice Blangero
 
Tout  ici scintille, vibre et rêve, avec une humanité qui donne encore plus de grâce à l’histoire. Cendrillon est ainsi poursuivie par le souvenir de sa mère morte, remplacée par une trop éclaboussante belle mère, et le caractère misérabiliste de son personnage est  rehaussé par cette nostalgie pénétrante. Une mère qui a d’ailleurs un double rôle et vole presque la vedette à Cendrillon, puisque, devenue la fée qui transformera la vie de la jeune fille, elle réapparaît finalement dans ses habits de mère et d’épouse, semant le trouble dans le cœur du malheureux père écartelé entre ses passions et son véritable amour. Pauvre homme que ce père de Cendrillon, jouet de cinq femmes !
 
Le prince, lui, a tout d’un joyeux garnement, d’un jeune homme moderne qui gambade avec ses copains, Dans ses facéties, on retrouve, mais la musique y aide bien évidemment, l’esprit des places publiques de Vérone où Roméo et Mercutio  s’ébrouent et lutinent les courtisanes. La chorégraphie, comme toujours chez Maillot, est virtuose, imposant des portés virevoltants et une sorte de perpetuum mobile qui tient en haleine. Et les idées abondent : d’abord celle qui donne la vedette au pied de Cendrillon et non à sa chaussure. Quel plus beau symbole pour une danseuse ? Trempé dans un bassin dont il ressort pailleté, rutilant, ce joli pied mène la danse, et en l’occurrence celui d’Alessandra Tognoloni a tout pour séduire le public et le prince.
La jeune ballerine a la grâce incontestablement. Il lui en faut beaucoup pour faire face à son craquant partenaire, l’italien Francesco Mariottini, si naturel dans sa gestique de garçon déluré qu’on en vient à oublier qu’il fonctionne et bouge avec les codes d’un danseur. Tout coule, tout roule souplement dans ce condensé d’émotion et de drôlerie, où le bouleversant lyrisme de Prokofiev parvient à tout emporter par-delà fantômes, chagrins et désirs. Un monde allégé, dont la fée Mimoza Koike est la reine, par son éclat et sa présence troublante.
 
Bijou que ce ballet à la fois léger et profond, brillamment décoré par Ernest Pignon-Ernest et costumé par Jérôme Kaplan, lequel donne à la fée des allures d’écuyère. Jean-Christophe Maillot dit drôlement qu’il le déteste ou l’adore, suivant son humeur. En fait, il annonce déjà par sa dynamique presque shakespearienne, la pièce qui apparaît aujourd’hui comme son chef-d’œuvre, La Mégère apprivoisée, conçue pour le Bolchoï. D’ailleurs, celui-ci réclame cette Cendrillon, qu’il lui faudra évidemment remettre aux mesures hors normes de l’institution moscovite. Etincelles en perspective !
 
Jacqueline Thuilleux

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Cendrillon (mus. Prokofiev / chor. J.-C. Maillot) : Opéra Royal de Versailles, 12 mai 2017
 
Photo @ Alice Blangero

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