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Caminos à Metz - Ouragan baroque sur la Moselle - Compte-rendu

Ils ont tapé des mains et des pieds dans leur superbement académique Arsenal, ils ont vu, médusés, apparaître dans la cathédrale gothique, en pleine grand-messe du dimanche matin, les boliviens Moxos, coiffés de leurs tiares de plumes, dansant et chantant, ils se sont assis par terre pour les écouter vocaliser, ils ont dialogué avec les musiciens du survitaminé Ensemble Louis Berger, découvert leur adorable orgue processionnel. Ils ont acheté les écharpes aux couleurs de la Colombie, appris l’aventure extraordinaire d’un orgue perdu dans la Cordillère des Andes, celui d’Andahuaylillas au Pérou, restauré en 2005 par le navigateur–facteur Jean-François Dupont et arrimé chez eux grâce au talent des jeunes artisans de Sarrebourg, qui en ont fidèlement reproduit les décorations.

Ils ont contemplé les tuyaux de ces énormes bajunes en feuille de palmier qui supportent si mal les voyages - et que l’argentin Ricardo Massun a la prudence de faire exécuter en carton -, découvert la trompe marine, joui des musiques dorées des réductions jésuites du Paraguay, sorties du silence au prix de tant d’efforts, appris qu’il existait en Amérique du Sud des compositeurs classiques de première importance, tels le formidable Nunes Garcia, mulâtre brésilien devenu maître de chapelle de la cathédrale de Rio de Janeiro en 1798, dont la musique tient de Haydn et de Rossini, ils ont été bouleversés par la fusion des petits jeunes de Woippy avec les fougueux gamins colombiens de la Banda Neira, émus par l’engagement des musiciens du Conservatoire de Sarrebourg, jouant le Morricone de Mission, entourés d’ indiens : le tout avec des qualités musicales diverses mais des qualités humaines majeures, et là est le but de ce brassage qui réveille une Atlantide de musiques enfouies, sur lesquelles travaillent des musicologues plus attachés à la résurrection des patrimoines qu’à leur conservation pointilliste.

Vraiment, ils ont été secoués, les Messins, par cet ouragan appelé Caminos, point d’orgue d’une aventure d’un quart de siècle, menée par un doux conquistador d’horizons pas du tout chimériques, Alain Pacquier, nouveau Christophe Colomb sur ces Chemins du baroque, devenus aujourd’hui une immense route. Quelques passionnés isolés, puis une équipe, un réseau, devenu aujourd’hui une véritable nappe d’influence et d’inspiration, qui s’est étendue de la Terre de feu à l’embouchure du Saint-Laurent. Soutiens sans failles, Alain Marty, député-maire de Sarrebourg, Jean-François Ramon, qui leur ouvre les portes de l’Arsenal et les autres lieux d’accueil de Metz en scènes, Martine Tridde, leur pasionaria de la Fondation BNP-Paribas, laquelle a cru en eux dès le début, amenant ses banquiers à miser sur ce qu’elle leur présentait comme la plus extraordinaire aventure musicale de la fin du XXe siècle, l’argentin Gabriele Garrido, fabuleux meneur d’orchestre et musicologue insatiable, le jésuite colombien « Memo » clamant son credo, « un enfant qui prend un instrument ne prendra jamais d’armes »: tous engagés jusqu’à l’extrême dans le déploiement complexe de collaborations, de recherches et de recréations qu’il ont aidé à étendre dans toute l’Amérique latine, et même un peu au nord. Sans oublier Judith Pacquier, superbe battante qui électrise ses 100 musiciens américains et lorrains, ici réunis dans des Batallas de Gabrieli ou du mexicain Lopez y Capillas, Francis Chapelet, le pétulant organiste, et le solide Laurent Blaise, pilier du Couvent, leur base à Saint-Ulrich, d’où est partie la vague des 60 CD, précieux témoignages de l’aventure: sous le label K 617, un corpus arraché à la mollesse et à l’indifférence des ans. Avec la grande caution de Claudio Abbado, le milanais au profil d’Inca.

D’autres ont disparu, comme le cinéaste Alain Corneau, compagnon fidèle, dont l’affirmation, «  Le mouvement missionnaire vaut mieux que sa caricature, surtout avec les jésuites », a claqué comme un courageux défi aux idées reçues. Pavée de roses et d’épines, l’histoire des Chemins du Baroque a été celle d’une grande errance pendant vingt-cinq ans. Aujourd’hui il semble que les caravelles soient rentrées au port mosellan, avant d’accoster au musée du Quai Branly, pour une dizaine de concerts, jusqu’au point culminant du 1er novembre 2011, dans les ruines d’une ancienne réduction paraguayenne. C’est du moins ce qu’affirme Alain Pacquier, lequel veut considérer qu’aujourd’hui les élans donnés peuvent suivre leur propre dynamique, et s’émerveille de ce qu’un des jeunes musiciens convié ait déclaré en présentant son programme au public : « par la musique, nos pays se reconstruisent ». La fin n’est donc pas pour demain : celle de l’autre baroque, celle du rêve.

Jacqueline Thuilleux

Caminos à Metz les 16, 17 et 18 septembre 2011. Au Quai Branly, du 22 septembre au 2 octobre 2011.

Pour rouvrir la boîte de Pandore : le nouveau livre d’Alain Pacquier, Le Retour des Caravelles, délice de drôlerie et de vie. (Fayard)

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Photo : Etienne Grimée
 

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