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Bertrand Chamayou en résidence à Radio France – Saint-Saëns en majesté

Avec la musique française, Bertrand Chamayou (photo) est chez lui ; après celle d’un Franck(Naïve) et d’un Ravel(Erato), la réussite du programme Saint-Saëns qui sort tout juste chez Erato ne surprend guère. N’empêche, quel magnifique cadeau de rentrée le pianiste nous fait-il avec cette interprétation racée, vivante, gorgée de couleurs, portée par la baguette d’un Krivine des grands jours –  à la tête de l’Orchestre National de France – dans les Concertos n° 2 et n° 5 « L’Egyptien ». Pas moins séduisant, le bouquet de pages pour piano solo qui complètent l’album achève d’en faire un véritable concentré de l’art du compositeur au clavier.

Un trait d'union entre Liszt et Ravel
« Saint-Saëns est un auteur que j’ai toujours aimé, confie B. Chamayou, il forme une sorte de trait d’union entre Liszt et Ravel. » D’aucuns se souviennent peut-être qu’à ses tout débuts, le pianiste a joué le Concerto n° 3, avec l’Orchestre Poitou-Charentes dirigé par Jean-François Heisser, dans le cadre d’une intégrale Saint-Saëns au Festival Piano en Valois d’Angoulême. On ne lui en veut guère d’avoir délaissé le moins intéressant des 5 Concertos. En revanche, le 2ème et le 5ème « L’Egyptien » figurent eux aussi depuis longtemps à son répertoire et il a fréquemment l’occasion de les donner, « toujours avec beaucoup plaisir. » Que les organisateurs le sollicitent pour ces opus n’étonne pas tant la luminosité et la richesse de sa palette sonore s’accordent idéalement à leurs atmosphères.

Extraire ce qui mérite de traverser le temps
Pourtant, « c’est la musique pour piano solo qui a suscité l’idée de faire ce disque, reconnaît-il. Depuis tout gamin je suis un grand déchiffreur, j’aime aller à la pêche au répertoire. Saint-Saëns a laissé près de huit heures de musique pour piano seul. On trouve des choses ennuyeuses, d’autres simplement ingénieuses, mais aussi l’équivalent d’une bonne heure d’excellente musique ». Il était hors de question de réaliser une intégrale, de jouer la carte de « la rareté pour la rareté » et de noyer de pures merveilles sous une masse de simples curiosités. Dans ce corpus inégal, Chamayou a joué ce qu’il considère être « le rôle de l’interprète » et a choisi « d’extraire ce qui mérite de traverser le temps ». « De véritables petits joyaux », qui ne manqueront pas de surprendre – et de séduire, on l’espère – ceux qui réduisent Saint-Saëns à la notion d’académisme. Bertrand Chamayou sait l’admiration que Ravel vouait à cet auteur, et se souvient d’une conversation avec Henri Dutilleux, très sensible lui aussi à l’art de son devancier.

© Marco Borggreve

© Marco Borggreve

Charme envoûtant
« Dans toutes les œuvres de Saint-Saëns, une chose me fascine, confie le pianiste : malgré la facture extrêmement classique et un côté quasi prévisible, il y a toujours, dans un mouvement mélodique ou dans un accord, une légère bizarrerie quelque part, qui amène un charme envoûtant – et tire du côté de l’Orient souvent ; le Concerto "L'Egyptien" offrant un cas extrême de ce point de vue – ; une sorte de faille qui révèle une partie moins stricte qu’il n’y paraît. C’est ce côté paradoxal du musicien que j’ai voulu mettre en avant dans ce disque. » Comme cela avait été le cas pour son splendide récital Mendelssohn(Naïve), tout en solo, et son album Franck, partagé entre solo et pages concertantes (sous la baguette de Stéphane Denève, à la tête du Royal Scottish Orchestra), B. Chamayou a conçu son disque Saint-Saëns à la manière d’un programme idéal, tel qu’il aimerait le trouver dans le bac d’un disquaire. Quant à la partie avec orchestre, elle lui aura donné l’occasion d’enregistrer pour la première fois avec Emmanuel Krivine, musicien et ami qu’il fréquente depuis très longtemps en concert. « C’était une collaboration logique, souligne-t-il à propos d’un partenaire qui n’offre pas « un simple accompagnement, mais possède une électricité, une verve, une nervosité, une capacité à faire vivre chaque accord. »

Emmanuel Krivine © Philippe Hurlin

Résidence à Radio France
A la bonne nouvelle discographique de la rentrée s’ajoute celle du démarrage (ce 13 septembre) de la résidence de Bertrand Chamayou à Radio France pour la saison 2018-2019. Michel Orier, directeur de la musique et de la création culturelle de la Maison ronde, que le pianiste connaît depuis l’époque où celui-ci était en activité à la MC2 de Grenoble, aura joué un rôle décisif dans la mise en place d’un beau projet qui démarre logiquement avec un concert de l’Orchestre National sous la baguette d’Emmanuel Krivine. Soirée triplement inaugurale en vérité car, outre l’ouverture de la saison et de la résidence, elle marque aussi le début (avec la 4ème Symphonie) de l’intégrale des symphonies de Brahms par le National et son patron. Reste que la musique française occupe toute la première partie de soirée, avec l’Ouverture du Roi d’Ys de Lalo, suivie de Saint-Saëns et de son Concerto « L’Egyptien » sous les doigts de Chamayou.
Après le National, l’Orchestre Philharmonique sera à deux reprises sollicité durant la résidence. Le 31 mars d’abord, pour un programme Beethoven, entre piano solo, concerto et musique de chambre, au début duquel Chamayou donnera la trop rare Fantaisie op. 77, avant de partager le Quintette pour piano et vents op. 36 avec des membres de l’orchestre, puis de retrouver ce dernier, aux côtés de Vilde Frang et Sol Gabetta – deux partenaires de prédilection –, dans le Triple Concerto. « Sorte d’ovni dans le programme », Ludwig van de Kagel est également prévu.

Un Concerto de Michael Jarrel en création mondiale
Si le disque ne le reflète guère pour le moment, la musique de la seconde moitié du XXe siècle et la création, qui le passionnent depuis toujours, sont l’une de grandes préoccupations d’un interprète d’une curiosité rare, qui « désire s’impliquer plus dans la musique d’aujourd’hui. » Radio France va beaucoup faire pour combler ses désirs avec, dans le cadre de la résidence, la création mondiale (le 25 mai) d’un concerto pour piano de Michael Jarrel, second rendez-vous avec le Philhar, dirigé par l’excellent Kazuki Yamada. Un peu auparavant (le 12 février, hors résidence, en ouverture du Festival Présences 2019), le pianiste aura donné en création la grande pièce pour piano solo que Wolfgang Rihm concocte en ce moment pour lui.

Après «L’Egyptien » en début de saison, Chamayou bouclera sa résidence, le 19 juin au TCE, par un récital (une coproduction entre Radio France et Jeanine Roze Production) en forme de portrait de Saint-Saëns. Des pièces de ce dernier y côtoiront des transcriptions lisztiennes de Haendel et Mozart et des pages de contemporains tels que Chabrier, Fauré, Ravel, Koechlin, Hahn, etc.
On n’oubliera pas de signaler aux parents « Les Enfantines » que le pianiste réserve au jeune public (de 3 à 6 ans) le 6 octobre (Auditorium de Radio France, deux séances, à 11h et 14h30).

Notons enfin qu’en cette rentrée, c’est au public du 71e Festival de Besançon que revient la primeur d’entendre, dès le 11 septembre, Chamayou, Krivine et le National dans le programme qu’il reprennent deux jours plus tard à Paris.

Alain Cochard
(Entretien avec Bertand Chamayou réalisé le 22 juillet 2018)
 

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Orchestre National de France, Emmanuel Krivine, Bertrand Chamayou, piano
Œuvres de Lalo, Saint-Saëns, Brahms
11 septembre 2018 – 20h
Besançon – Théâtre Ledoux
www.festival-besancon.com/production/orchestre-national-de-france/
 
13 septembre 2018 – 20h
Paris – Auditorium de Radio France
www.maisondelaradio.fr/evenement/concert-symphonique/brahms-symphonie-ndeg4/integrale-des-symphonies-de-brahms-par-emmanuel

Photo © Marco Borggreve

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