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Berlioz et Rameau à Royaumont - Judicieuse mise en perspective - Compte-rendu

 Journée marathon à l’Abbaye-Fondation de Royaumont, avec un après-midi illustrant Berlioz au cours de trois concerts et une soirée toute entière dédiée à Rameau. Deux compositeurs que tout rapproche, à un siècle de distance (1).
 
À François-Xavier Roth et son orchestre Les Siècles (photo), reviennent une première partie de journée affriolante, commencée par un « concert-atelier » livrant des extraits symphoniques des Troyens (deux ballets du IVe acte : « Danse des esclaves » et « Pas des almées » ; les trois Entrées du IIIe acte : « des Constructeurs », « des Matelots » et « des Laboureurs » ; ainsi que « Chasse royale et Orage », premier tableau du IVe acte). Cécile Reynaud, conservateur au Département Musique de la Bnf, et Roth lui-même – avec bagout –, commentent le contexte de ces pages au public qui s’écrase dans le Réfectoire des Moines.
 
C’est l’occasion d’évoquer la richesse du fonds de la Bibliothèque François-Lang, sise à Royaumont, et notamment plusieurs esquisses autographes et trois volumes d’épreuves corrigées de la partition piano-chant de l’opéra, de la main même du compositeur. Suivent : Harold en Italie, puis, après une seconde pause, la Symphonie fantastique. Ici Roth prend à nouveau la parole, pour dire son émotion à la lecture des autographes de la version primitive de la Fantastique, toujours à la Bibliothèque François-Lang, dont son concert tire les enseignements mais qu’il ne reprend pas : fidèle, à juste raison, à la version finale, avec les reprises dans les premier et quatrième mouvements, mais sans la partie de cornet à piston, ad libitum, du deuxième mouvement. Le chef d’orchestre en profite pour présenter au public les instruments d’époque de l’instrumentarium des Siècles, ophicléide, cor anglais, flûte « Tulou » (du nom de son facteur au XIXe siècle) et, précisément, cornet à piston…
 
Mais ce ne saurait être de simples concerts didactiques. Car la restitution surpasse l’intention de vulgarisation, avec une sonorité qui emplit l’espace restreint (assez voisin en volume, de la Salle de concerts du Conservatoire qui ont vu les créations d’Harold et de la Fantastique), où chaque timbre se détache au sein d’une exécution unitaire, conjuguant flamme et rigueur. Telles que Berlioz les prescrivait ! Et le public de réserver un triomphe retentissant, avec rappels incessants… au point que Roth se fend d’un bref bis, non prévu : « Joyeux Anniversaire », pour fêter le Jubilée de Royaumont. Tout juste émettra-t-on une légère réserve pour l’altiste d’Harold, Adrien La Marca, révélation (de 24 ans) des dernières Victoires de la Musique, en manque d’intériorité dans une œuvre qui est tout le contraire de la démonstration concertante, raideur à mettre au compte de sa fraîcheur (et de son trac ?).
 
On notera les deux cloches, pour le « Songe d’une nuit de sabbat », reconstituées d’époque (fondues l’an passé lors du Festival Berlioz de La Côte-Saint-André, et prêtées par lui), respectant scrupuleusement les hauteurs de son, placées en dehors de la salle porte ouverte, comme lors de la création de la Fantastique en 1830. Expérience qui avait déjà transporté d’enthousiasme les jeunes auditeurs venus de 18 classes primaires du Val d’Oise et de Seine-Saint-Denis, lors du concert pédagogique la veille, en conclusion du projet « Berlioz à l’école » sous l’égide de Royaumont.
 
La soirée, clôture appropriée, se donne à Rameau. Un compositeur fêté comme il l’a été rarement en France, en cette année qui marque les 250 ans de sa disparition. Les Musiciens du Paradis, constitués de très jeunes instrumentistes venus de différentes formations baroques et basés à Alençon, sous la houlette de Bertrand Cuiller, également claveciniste, choisissent toutefois un angle original.
L’intitulé du concert dit déjà tout : « Rameau, opéra sans parole », qui réunit, pour un découpage de tragédie lyrique en cinq actes et un prologue, des extraits orchestraux parmi les plus génialement inspirés de Rameau ; empruntés à Hippolyte et Aricie, Les Indes galantes, Zaïs, Les Boréades, Platée, Zoroastre… judicieux reflet à l’ouverture de la journée avec les extraits des Troyens. Couleurs vives, allant et précision d’ensemble : autre approche particulièrement éloquente. Rameau et Berlioz, ou le père et fils – avec le saint-esprit se réservant à l’inspiration chez de tels officiants.
 
Pierre-René Serna
 
Abbaye-Fondation de Royaumont, 4 octobre 2014
 
1) Voir notre dossier : http://www.concertclassic.com/article/rameau-au-miroir-de-berlioz
 
Photo © Marie Nicolas

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