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Beaune - Compte-rendu : Gluck révolutionne l'opéra


Dès les premières notes dirigées par Jérémie Rhorer (photo), vous savez que ce sacré Gluck vient d'arracher sa perruque à Rameau avec les allées de buis chères au sacro-saint jardin à la française ! C'est, en effet, un Orphée et Eurydice décoiffant qui a dominé le dernier week-end du 26e Festival de Beaune. L'oeuvre donnée dans sa version parisienne de 1774 illustre mieux qu'un long discours la fameuse réforme de l'opéra imaginée par le professeur de Marie-Antoinette : c'est tout simplement l'acte de naissance de la nouvelle sensibilité qui gagne toute l'Europe en cette fin de XVIIIe siècle, celle de la nature poussant désormais sans entrave dans les jardins anglais, celle aussi du coeur souffrant du jeune Werther dont Goethe publie justement le roman par lettres en cette même année 1774 !

Jérémie Rhorer nous le dit avec une éloquence sans pareil à la tête de ses camarades du Cercle de l'Harmonie et du Choeur de chambre Les Eléments parfaits d'engagement et de style: non, les choses ne seront jamais plus comme avant au temps de l'opera seria de Haendel et de la tragédie lyrique française. Gavé du narcissisme de Rousseau, l'individu préromantique est né, tout à la contemplation de sa douleur. Dans le premier des opéras, en 1607, Monteverdi jouait des contrastes baroques et débutait son Orfeo dans la liesse des bergers assistant aux noces d'Orphée et d'Eurydice. Chez Gluck, foin de noces et de serpent ! Le rideau se lève bien après sur la douleur du héros de la Thrace: l'opéra réformé entre directement dans le vif du sujet. Et tout Paris vint pleurer, compatir à la douleur d'Orphée et partager ses sanglots, de la future reine de France et fille de Marie Thérèse d'Autriche à l'amie des Encyclopédistes Julie de Lespinasse.

C'est qu'à l'inverse de la Révolution française, politique et sociale, mais avec quinze ans d'avance, la révolution des coeurs réunit encore Noblesse et Tiers Etat... C'est ce que nous dit avec un naturel confondant Jérémie Rhorer que le Syndicat de la Critique a été décidément bien inspiré de déclarer « Révélation musicale de l'année »! On se réjouit que ce triomphe mérité ait pu rayonner sur toutes les radios européennes, et même au-delà, grâce à France Musique qui retransmettait l'événement en direct ce samedi 26 juillet. Le chef-d'oeuvre de Gluck voyagera, en outre, dans cette version de concert de Paris (Théâtre des Champs-Elysées, 24 octobre) à Besançon ainsi qu'aux Festivals de Brême, de Lessay et de La Chaise-Dieu (Théâtre du Puy, 31 août).

Les hasards de la défection du ténor prévu nous a valu un joli clin d'oeil à l'histoire exemplaire du Festival de Beaune comme à l'histoire de la musique tout court : l'Italien Stefano Ferrari qui remplaçait, quasiment au pied levé, Tipi Lehtipuu avait en effet déjà chanté au Festival de Beaune, voici trois étés, le rôle-titre d'« Idoménée » de Mozart dont l'admirable réussite avait imposé d'un coup de maître Jérémie Rhorer et ses musiciens sur le devant de la scène. Car si Mozart n'avait pas entendu cette version d'Orphée et Eurydice de Gluck lors de son dernier voyage à Paris en 1778, il n'aurait pas écrit deux ans plus tard son premier chef-d'oeuvre lyrique, Idoménée, avec l'opulence orchestrale et chorale qui le caractérise : Wolfgang s'est goulûment engouffré dans la brèche ouverte par son aîné pour l'Opéra de Paris.

Stefano Ferrari, encore gêné par le français, n'a pas tout à fait la maîtrise d'un rôle particulièrement lourd, mais quel bel air final ! Ca n'est pas par hasard si Pauline Viardot a demandé à Berlioz de transcrire ce rôle pour sa voix de contralto ! Mais le timbre et le style de Ferrari sont remarquables. Son Eurydice, la somptueuse mezzo Maria Riccarda Wessling, est un grand cru de Beaune tandis que l'Amour de la soprano Magali Léger est le charme à l'état pur.
Chef, orchestre et choeur rééditent les miracles que furent Idoménée et Les Noces de Figaro. Mais avec la réforme révolutionnaire de Gluck, c'était encore plus risqué. Pari gagné.

Jacques Doucelin

Festival de Beaune, samedi 26 juillet 2008

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Photo : DR

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