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Autour de John Cage / Festival Musica - Un monde toujours nouveau - Compte rendu

Figure pour le moins originale – par provocation souvent, mais avant tout avec une toute sincère singularité – John Cage a marqué la musique du XXe siècle. Considérer aujourd'hui son héritage et sa trace nécessite d'abord de dépasser le mythe, dépasser les 4'33" tout en conservant au silence et au temps l'importance que le compositeur américain, né il y a un siècle et décédé il y a vingt ans, leur a toujours accordée.

Les deux propositions scéniques de Musica y concourent avec intelligence. Au début de Lecture on nothing, Robert Wilson fait exploser le silence cagien, traduit par l'immobilité du plateau, mais envahi par le « bruit composé » d'Arno Kraehahn. S'il suit de près, dans sa lecture, le rythme de cette conférence écrite comme une partition, le metteur en scène s'y joue du temps au moins autant que Cage s'est joué de ses propres structures.

Le silence aussi précède l'entrée du piano préparé dans le spectacle Danza preparata, chorégrpahié par Rui Horta et présenté en première française après sa création à la Casa da Música de Porto. Comme le piano des Sonates et Interludes (1948) – n'y entend-on parfois Chopin ? – la danse de Silvia Bertoncelli déploie un vocabulaire classique, mais rapidement contrarié, contaminé par les contraintes et les corps étrangers – elle-même, comme le piano, est préparée, les membres au besoin entravés.

On a souligné souvent que le « piano préparé » créait chez Cage des sonorités de gamelan balinais. Ce n'est pas dans cette direction que Rolf Hind (photo) mène les Sonates et Interludes. Le pianiste britannique donne plutôt à voir et entendre la distance entre la familiarité du geste et la surprise des sons. La musique est écrite, la danse aussi, mais non sans laisser une part à l'indétermination, comme ce finale où les pas sont guidés par des objets éparpillés au sol.

Reste à accommoder la musique de Cage à celle d'autres compositeurs, sortir du happening et retourner au concert, en quelque sorte. Invité avec son orchestre, le Brussels Philharmonic, Michel Tabachnik, s'en tire par une pirouette : seuls vingt chanteurs du Chœur de la Radio flamande interprètent Four², quatuor vocal a capella composé en 1990 qui, à l'image de toute l’œuvre tardive de Cage, ne porte plus pour titre que le nombre d'interprètes (ou, en l'occurrence, de parties) requis et consiste essentiellement en notes tenues, qui forment ici un « texte » sur les lettres du nom « Oregon »). Cage investit ainsi comme l'interlude d'un programme hétéroclite où deux chefs-d’œuvre italiens se répondent : les fines textures, marquées de silences, d'Aura de Bruno Maderna (1920-1973), et la musique en vagues de Luca Francesconi (né en 1956). De ce dernier, Sirènes, qui intègre avec bonheur orchestre, chœurs et percussions disposés dans l'espace et environnement électronique conçu à l'Ircam, paraît infiniment plus aérien et mobile que lors de sa création en 2009 à la Cité de la musique.

Au voisinage de Four (1989), pour quatuor à cordes dont les parties peuvent être à loisir échangées entre les quatre interprètes, on comprend ce que Cage a laissé comme héritage « impossessible » : outre le silence et l'indétermination, c'est cette latitude permise à l’œuvre que n'advienne aucun événement.

La volonté de trop composer le fortuit chez l'Américain Adam Mincek (3e Quatuor), le refuge dans un étonnant expressionnisme pour Oscar Bianchi (Adesso), font paraître bien timorés ces deux jeunes compositeurs (nés en 1975) que programmait l'impeccable JACK Quartett au côté de Four. Seul Crescent Scratches, second quatuor de Yann Robin (de la même génération : il est né en 1974), qui concluait le concert, se détache, assumant une forme toute personnelle, faisant grand usage de la distorsion. Une œuvre fascinante car risquée, fulgurante jusqu'à sa fin fragile et au silence qui s'ensuit ? Une œuvre est entourée de silence : c'est là une évidence que la musique de John Cage a toujours eu le mérite de rappeler.

Jean-Guillaume Lebrun

Strasbourg, Festival Musica, les 29 et 30 septembre 2012.
Le festival Musica se poursuit jusqu'au 6 octobre : www.festivalmusica.fr

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Photo : DR
 

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