Journal

Anniversaire Couperin à Saint-Gervais - Les jeunes interprètes rendent hommage à François “Le Grand” – Compte-rendu

François Couperin vit le jour à Paris le 10 novembre 1668 – 350 ans plus tard, jour pour jour, un hommage multiforme lui était rendu en l’église Saint-Gervais-Saint-Protais, jouxtant l’Hôtel de Ville, dont la tribune fut celle de la dynastie des Couperin entre 1653 et 1826. François Couperin, qui y fut baptisé dès le 12 novembre, en fut titulaire à partir de 1685, succédant à son oncle et à son père, l’intérim ayant été assuré par Michel-Richard Delalande au décès de ce dernier. L’orgue, dont la composante la plus ancienne : Mathieu Langhedul (1601, alors dans le transept sud) en fait le doyen des orgues de Paris, occupe la tribune actuelle depuis 1628 : il y fut alors transporté, modifié et agrandi par Pierre Le Pescheur, puis retouché par Pierre (1649, 1659) et Alexandre Thierry (1676, 1684-1685), François-Henri Clicquot apportant les derniers ajouts de l’ère classique, travaux reçus en 1768 par Daquin et Balbastre : l’orgue comptait 37 jeux sur cinq claviers manuels et pédalier. Saint-Gervais a conservé cette console ancienne, sans doute la seule à cinq claviers encore en service sur un orgue historique en France. Louis-Paul Dallery fera quelques travaux dans les années 1840, puis l’orgue sera plus ou moins oublié, mal entretenu et guère utilisé, ce qui le préserva d’une dénaturation radicale.
 
Si la Maison Merklin le remit en service en 1909, toute vie musicale se trouva suspendue à la fin de la Grande Guerre, jusqu’à la fin des travaux de réfection de la voûte, en 1920 (1). Le projet Mutin de reconstruction intégrale ayant été rejeté en faveur du respect de l’instrument historique, l’orgue fut restauré en l’état conformément au projet de Louis Béasse : inauguré en février 1924, il fit l’objet dès le mois d’août (partie instrumentale) d’un classement précurseur au titre des monuments historiques. Quarante ans plus tard, le projet de restauration conclu en 1967 avec la Maison Gonzalez souleva un tel tollé de la part de « ceux qui étaient d’un avis différent sur les travaux à entreprendre » que le chantier s’en trouva immédiatement suspendu, l’orgue étant déjà démonté. C’est à ce moment de l’histoire qu’intervient Michel Chapuis, au nom d’une nouvelle approche de l’instrument historique, permettant dans la foulée d’envisager une commission autrement compétente que ce qui avait pu être proposé antérieurement – une histoire à part entière. Un nouveau devis, plus respectueux, fut proposé par la firme Gonzalez et les travaux, surveillés de près par l’organier Jacques Bertrand, furent achevés en 1974. À ce jour, le dernier chantier d’importance est celui de la Manufacture Muhleisen en 2000 (3).
 

© Mirou

Anticipant d’une certaine manière les cérémonies du centenaire de l’Armistice de 1918, le lendemain à l’Arc de Triomphe de l’Étoile, qui mirent particulièrement à l’honneur la jeunesse, l’hommage du 10 novembre à Saint-Gervais fut assuré par des étudiants du Département de Musique ancienne du Conservatoire à Rayonnement Régional de Paris (rue de Madrid), que dirige Jean-Christophe Revel, organiste de la cathédrale d’Auch, compositeur et créateur réputé d’œuvres pour orgue de notre temps. Son rôle dans la découverte de celles de Jacques Lenot (2) constitue un exemple parmi les plus accomplis de la collaboration entre un compositeur et son interprète.
 
Du prometteur à l’excellent, ce concert fit graduellement entendre divers aspects de l’art de Couperin en un survol richement évocateur. Entrée et sortie, comme il se doit, revinrent à l’orgue, d’abord avec la Messe des couvents : Plein jeu et Fugue sur la trompette par Daniel Morales, Tierce en taille par Martin Foisset. Où l’on put ressentir combien la maîtrise du texte et des claviers ne suffit pas et ne va pas nécessairement de pair avec celle de l’inégalité expressive, dont le « naturel » savant et sophistiqué n’est certes pas chose aisée. On imagine que jouer un tel instrument, historique à tous égards, n’aura pu qu’éclairer favorablement la perception de ces mystères. Bien des choses y prennent un sens et y relèvent soudain d’une « évidence » qu’un instrument étranger à cet univers si particulier ne saurait susciter.
 
Le claveciniste Adam Slimani offrit ensuite, avec une belle et sage rigueur, un Prélude de Louis Couperin et deux extraits du 25ème Ordre de François « le Grand » : La Mistérieuse, La Visionnaire, avant d’accompagner deux musiciennes dans la 1ère Suite pour viole de gambe et basse continue : Prélude, Allemande et Courante sous l’archet souple de Stéphanie Houillon, Sarabande et Gavotte sous celui de Blandine Daubercies. À ceci près que le froid et l’humidité d’une église non chauffée peuvent mettre à rude épreuve les cordes à l’ancienne. L’instrument de la seconde gambiste fit de la résistance sur le plan de la justesse, jusqu’à lui faire perdre complètement sa voix, malgré une éprouvante séance d’accord. Après deux pièces du 22ème Ordre – L’Exquise, Allemande et Saillie – plus que brillamment interprétées par Guillaume Haldenwang, remarquable musicien qui fit prendre son envol au concert, Blandine Daubercies, sur une viole ayant retrouvé l’équilibre de son accord, contribua avec souplesse et brio à la Première – La Françoise – des Sonates constituant le recueil des Nations, au côté de Nolwenn Le Guillou, flûte au timbre lumineusement projeté, et d’Alejandro Serna au violon, tout aussi aguerri, accompagnés du solide Adam Slimani au clavecin. Après quoi Charles Lemarignier, poétiquement stylé, fit sonner Les Idées heureuses et La Mimi du 2ème Ordre.
 
S’ensuivit en tribune un moment de grâce, Aude Heurtematte, titulaire de l’instrument (4), accompagnant de toute l’enveloppante délicatesse des jeux doux la soprano Maya Villanueva, invitée in extremis à remplacer Elodie Fonnard dans la Première Leçon de Ténèbres pour le Mercredi – interprétation intense, chaleureusement musicale et d’une fluide éloquence, illuminant par sa grâce l’église alors bien sombre et glaciale. Deux pièces de la Messe des Paroisses prirent le relai : Chromhorne en Taille et Dialogue sur les Grands jeux par Alexandra Sperotto, Duo sur les Tierces et Basse de Trompette par Midori Abe, toutes deux instrumentalement et musicalement d’une fort belle aisance.
 
Une dernière section au clavecin permit d’entendre, issus du 11ème Ordre, Les Fastes de la grande et ancienne Mxnxstrxndxsx [Ménestrandise], corporation de ménestrels tournée en dérision par Couperin avec un esprit et une causticité, teintés d’humour, magnifiquement restitués par Nicolas Mackowiak, chacun des cinq Actes parodiques étant présenté en vieux françois par Jean-Christophe Revel. Cet hommage à Couperin se referma de splendide manière sur l’Offertoire des Paroisses propulsé avec panache et tempérament par Liubov Nosova, lauréate du conservatoire de Saint-Pétersbourg, Prix de la ville d’Angers lors du Concours Jean-Louis Florentz – Académie des Beaux-Arts 2018, l’orgue des Couperin sonnant superbement, avec cette distance sensible qui fait en grande partie son charme, outre la beauté des timbres, notamment du chœur d’anches, du cromorne et des cornets, lors des dialogues qui leur sont propres.
 
Prochaine occasion d’entendre cet orgue illustre : le 1er décembre, sous les doigts de Juliette Grellety-Bosviel, titulaire de l’orgue Fossaert (2008) de Notre-Dame de Boulogne-Billancourt, de style baroque flamand, sur lequel elle a gravé un CD Froberger intitulé Un étonnant voyageur (Hortus 110, 2014), également titulaire-adjointe de l’orgue historique de Saint-Gervais.
 
Michel Roubinet

Paris, église Saint-Gervais-Saint-Protais, 10 novembre 2018
 
 
(1) Rappelons que le 29 mars 1918, pendant les vêpres du vendredi saint, l’église Saint-Gervais fut touchée par les bombardements allemands : il y eut de nombreux morts et blessés, la voûte de la nef s’étant partiellement effondrée – l’orgue des Couperin ne fut pas directement touché mais néanmoins endommagé par les projections de gravats.
fr.aleteia.org/2018/03/28/quand-leglise-saint-gervais-fut-bombardee-un-vendredi-saint/
www.herodote.net/almanach-ID-3295.php
 
(2) www.concertclassic.com/article/week-end-creations-et-patrimoine-auch-jacques-lenot-en-perspective
 
Jean-Christophe Revel a notamment enregistré, à Belfort, Le Livre des dédicaces (CD L’Oiseau prophète, 2016) :
jacqueslenot.net/wp-content/uploads/2016/10/Livret-Livre-des-dedicasses.pdf
 
ainsi que Suppliques, à la cathédrale Saint-François-de-Sales de Chambéry (CD Intrada 056) :
jacqueslenot.net/wp-content/uploads/2015/11/livret-suppliques.pdf
 
(3) Travaux réalisés à l’automne 2000 par la Manufacture Muhleisen
muhleisen.free.fr/rapport%20travaux.html
 
(4) Tribune des Couperin oblige, Aude Heurtematte y a enregistré en 2004 les deux Messes (1690) de François « le Grand », Zig-Zag Territoires ZZT090403.
 
Photo © Mirou

Partager par emailImprimer

Derniers articles