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Anne-Sophie Mutter, Andris Nelsons, et le Royal Concertgebouw Orchestra – Une grande 10ème – Compte-rendu

Soirée de prestige avec la venue pour la seconde fois cette saison de l’Orchestre Royal du Concertgebouw d’Amsterdam à la Philharmonie. Maris Jansons cède, pour la soirée, la baguette de sa formation à son compatriote Andris Nelsons (photo), chef à la gloire ascendante, et en guest star la charismatique Anne-Sophie Mutter dans le Concerto de Sibelius.
 
L’entrée en scène de la soliste déclenche toujours le même enthousiasme du public mais, dès l’introduction du Concerto, son jeu détimbré laisse une curieuse impression qui se prolonge tout au long de l’œuvre. A mille lieues du caractère minéral et du lyrisme fébrile de cet opus postromantique, Anne-Sophie Mutter appuie le trait, arrache l’archet avec une énergie tzigane qui paraît décalée. Le mouvement lent, alangui par la volonté de l’interprète, manque de simplicité par trop de sollicitations, et le final tient de la course effrénée aux limites de la rupture entraînant même un dérapage inhabituel chez cette artiste. Face à une telle démonstration, Andris Nelsons se contente d’un accompagnement en arrière-plan, loin de l’esprit rhapsodique qui ne se déploie qu’au moment des tutti. En bis, la Gigue de la Partita n° 2 BWV 1004 de J.-S. Bach est exécutée à un train d’enfer, sans la respiration et la ponctuation de la danse baroque.
 
Après l'entracte, la Dixième Symphonie de Chostakovitch (1953) change la donne et place au premier plan l’orchestre et son chef débarrassés de la contrainte concertante. Splendide réalisation qui voit les musiciens déployer tous leurs atours avec des cordes somptueuses et fusionnelles, une petite harmonie tour à tour stridente et onctueuse, des cuivres mordorés ou percutants. Le chef imprime une tension constante, et son geste large malaxe la pâte sonore à pleine main. La passion, l’ironie (l’Allegro sarcastique figurant Staline), la tragédie sous-jacente sont rendues de manière suggestive par un magnétisme conquérant qui emporte tout sur son passage. Dans l’acoustique aérée de la Philharmonie, cette Dixième Symphonie sonne dans le final à pleins poumons, immense fresque défendue avec une force peu commune. 
 
Michel Le Naour
 
Paris, Philharmonie 1, 10 mars 2015

Photo © DR

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