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Anja Harteros, Valery Gergiev et l’Orchestre Philharmonique de Munich - Rencontre au sommet – Compte-rendu

Ce qui émerveille chez Anja Harteros (photo), au statut de star finalement mérité, c’est cette intelligence du dosage, cette finesse de style, cette façon de larguer les voiles après des départs presque réservés : plus que le timbre d’une voix riche certes, mais non vraiment émouvante au premier jet, cette formidable musicalité fascine chez une artiste dont les moyens vont s’amplifiant et se stabilisant: perfection donc, dans ces Wesendonck-Lieder de Wagner que la longue dame brune a enchaînés avec un véritable sens opératique de la progression, détaillant les deux premiers avec une élégance quasi feutrée puis se déployant dès le 3e éclatant Im Treibhaus – avant de s’enfoncer dans la nuit du dernier, Traüme, une nuit étoilée comme les a peintes Klimt et dont elle portait les couleurs avec sa robe bleu scintillante. Le public, retenant son souffle, l’a suivie jusqu’au bout dans ce firmament.
 
Il faut dire qu’autour de cette perfection s’étendait un voile de délicatesse et de subtil jeu de couleurs, grâce à Valery Gergiev et au Münchner Philharmoniker, ondulant autour d’elle, la soutenant avec une palette de nuances irisées, créant l’état d’immobilité que cette extase requiert. Le chef ossète, qui sait si bien enflammer dans le répertoire russe, avait su ici trouver l’équilibre idéal entre la voix de la soliste et le volume d’un orchestre dont on mésestime parfois la splendeur, égalant celle des Philharmonies de Berlin et de Vienne, ou du Concertgebouw d’Amsterdam.  

Valery Gergiev © Marco Borggreve
 
 Pour amorcer ces miraculeux Wesendonck-Lieder , Gergiev avait choisi la rare Fantaisie symphonique Francesca da Rimini, composée en 1876 par Tchaïkovski, riche d’un dramatisme forcené et d’un lyrisme flamboyant, bien proche de son Roméo et Juliette, avec des accents du Lac des Cygnes, composé à la même époque. Une œuvre que les balletomanes connaissent plus que les mélomanes car elle fut souvent chorégraphiée, et notamment par Serge Lifar. Lancé avec une passion furieuse, ici sur son terroir, le chef a ainsi allumé l’orchestre, demeuré au zénith pour toute la soirée, et notamment pour une Vie de Héros de Strauss, qui concluait en fanfare, si l’on peut dire !
 
Compacte, complexe, possiblement boursouflée, cette œuvre redondante et superbe à la fois, a connu ici une lecture d’une telle intelligence, d’une telle gradation dans ses multiples récits, que ses défauts en ont été gommés pour ne laisser apprécier que la richesse, la justesse des Münchner Philharmoniker, notamment le magnifique violon solo de Lorenz Nasturica-Herschcowici – mousse de cheveux à la Rattle, silhouette haendélienne et jeu d’archange pour évoquer la douce compagne du héros ! Aucune faille, aucune faiblesse dans cette masse de pupitres en folie, tassés sur un plateau qui paraissait trop étroit, notamment pour les rayonnantes et joyeuses contrebasses, agglutinées comme pour une mêlée de rubgy, et dominés par des cuivres étincelants. Avec cet orchestre qui lui est cher, la maîtrise du chef éclatait, et son engagement était total, ce qui n’est pas toujours le cas.
 
Jacqueline Thuilleux

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Paris– Philharmonie, Salle Pierre Boulez, 22 janvier 2018.

Photo © DR

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