Journal

Andrés Marín ouvre la Biennale d’art flamenco à Chaillot - Inquiétant et brillant – Compte rendu

Andrés Marín ou le provocateur : en une heure et demie du D.Quixote sorti du cerveau tourmenté de ce personnage, en gros danseur de flamenco, on aura vu un Don Quichotte sur fond de tags avec un casque mi-motard, mi-chevalier, une leçon d’escrime, un mini match de boxe scandé par les cris de la cantaora Rosario La Tremendita, habillée façon cuir et plaques aux coudes et aux genoux, admiré le mariage du hip hop, du rock et du flamenco, notamment pimenté par le remplacement des petits talons traditionnels par un skate, sur lequel, l’air volontairement demeuré, Abel Harana accomplit vraiment des prodiges. On aura ri un peu, reçu des ballons – l’épaule gauche de votre servante en garde un souvenir circonstancié –, vu dérouler une quantité de pubs faussement naïves des années cinquante, enfin s’être plongé dans l’immolation quasi cultuelle du héros, nu et peint en noir coulant, couronné d’un casque à flammes, face à une silhouette à tête de taureau, plantée comme une image de mort sur l’estrade.

© Benjamin Mengelle
 
Bref, on est allé de surprise en surprise, en prenant le temps au passage d’admirer la virtuosité fabuleuse des trois danseurs en présence, soutenus par d’excellents musiciens à la batterie, aux percussions, au violoncelle, au théorbe et à la guitare électrique : tous ces corps ne sont que fulgurantes secousses. Et sans s’ennuyer, il faut l’avouer, car la qualité des interprètes et surtout la démarche organique d’Andrés Marín ne peuvent pas ne pas toucher.
Evidemment, on est loin de l’Albaicín, des fines joutes dans les patios de Grenade, de cet art de la pointe où le pied et le regard se font couteaux. Le flamenco, on l’a appris jadis, est un art si codé, si contenu dans le chas d’une aiguille, si hautain. Mais qui a toujours parlé de mort, de sang.
 
Marin, qui se veut à l’aune de toutes les dérives contemporaines, y coule cependant celle du vieux Don Quixote avec une certaine profondeur, un tourment contagieux dans sa quête désespérée. Bien sûr, à force se sentir le souffre, tout cela finit tout de même par seulement sentir l’œuf pourri, et de fondamental, le jeu paraît souvent puéril. Mais cet étrange danseur, qui n’a guère un physique avantageux, avec sa barbe touffue, son petit chignon, sa silhouette étriquée et son dos voûté, finit par exercer une étrange fascination, évidemment morbide. On s’en va, après la scène finale en se demandant si on a vu le Minotaure et son effroyable néant (on est tout de même au pays des taureaux) et si le chorégraphe, à force de se vouloir moderne, n’a pas retrouvé la nuit obscure des pires mythes méditerranéens. A le voir taper du pied avec la violence hystérique qu’on a endurée, on se dit qu’il pourrait bien avoir deux petits sabots à la place et célébrer quelque éternel Baal.
 
Adieu donc, sombreros et mantilles, chignons hautains, claquement de l’ongle, robes ondulantes et tailles ondoyantes, le flamenco des chromos s’en est allé vers d’autres bannières, mais tel que le métamorphose Andrés Marín, il pleure encore le sang, comme l’écrivait Ramón Gómez de la Serna, l’un de ses chantres les plus inspirés. La suite de la Biennale en dira plus, assurément, et sous de multiples formes.
 
Jacqueline Thuilleux

logo signature article

D.Quixote (chor. Andrés Marín) -  Paris, Théâtre de Chaillot, 8 novembre ; Biennale d’art flamenco : jusqu’au 26 novembre 2017/ www.theatre-chaillot.fr
 
Photo © Benjamin Mengelle

Partager par emailImprimer

Derniers articles