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An American in Paris au Châtelet - Grand Prix France-Amérique - Compte rendu

Y courir : pour l’amour de la musique de Gershwin, ce juif russe qui fut la voix de l’Amérique, sa veine mélodique qui coule comme un torrent, sa trépidation joyeuse, ses incessants rebonds et ses superbes envolées. De quoi porter le plus lourd des corps, ainsi que le montrait la fabuleuse illustration quasi graphique de Rhapsody in blue faite par les studios Disney dans Fantasia 2000. Ne serait ce que pour cette immersion, ce spectacle est un véritable cadeau de Noël et un coup d’éclat de Jean Luc Choplin, qui a fait du Châtelet un petit Broadway, où le spectacle sera ensuite présenté.
 
Pas une note donc qui ne soit de Gershwin, dans cette création  d’une comédie musicale au nom si fameux qu’on en oublie qu’elle n’existait pas jusqu’à aujourd’hui, sinon grâce au film de Vincente Minnelli, lequel en 1951, avait créé une intrigue sur la suite écrite par Gershwin en 1928 sous forme de Ballet rhapsodique : l’œuvre, sans thème précis, était juste une évocation de ce Paris qui l’avait captivé. Et dont il avait notamment rapporté ces fameux klaxons qui zèbrent la partition. Une entreprise audacieuse pour laquelle une fine équipe composée de Craig Lucas, Rob Fisher et Christopher Austin, a rebâti un argument légèrement différent de celui du film, en le situant au sortir de la guerre pour lui donner un peu plus de consistance dramatique, et en l’animant de dialogues spirituels et souvent piquants. L’équipe s’est aussi et surtout plongée dans les archives de la famille Gershwin pour y trouver d’autres pépites non utilisées, qui ont dû être orchestrées, et auxquelles ont été accolées des extraits du Concerto en fa et de la Seconde Rhapsodie pour piano et orchestre.

 

© Angela Sterling
 
Autre maître du jeu, le chorégraphe Christopher Wheeldon, danseur au New York City Ballet. Aujourd’hui chorégraphe salué partout, il s’est chargé ici de la mise en scène dansée et jouée avec une élégance incontestable. Son ton est vif, spirituel, néoclassique sans passéisme, moderne sans provocation, un consensus de charme convenant à cette création qui ne veut en rien bousculer les standards, par respect sans doute pour la mémoire de Gershwin. Peu de numéros comiques, pas beaucoup de tap dance, on le regrette tout de même. Mais ses figures, souples et gracieuses s’inscrivent habilement dans le plus joli et le moins compromettant de la tradition du film de danse hollywoodien, où la pointe flirte avec le style jazzy.
Et elles sont merveilleusement exécutées par des danseurs-comédiens-chanteurs qui pourraient figurer sans peine dans Giselle ou le Lac des Cygnes puisque pour le couple central, Leanne Cope et Robert Fairchild, ils viennent de troupes prestigieuses, le Royal Ballet et le New York City Ballet. Impeccables, les autres solistes et la troupe proviennent aussi des meilleures maisons avec des parcours flatteurs, que ce soit dans le classique, le théâtre ou le music-hall.
 
Quant à l’orchestre, il est à la fête : sous la direction de Brad Haak, il se roule avec délices dans cette musique irrésistible. 
Le décor de Bob Crowley joue ici  un rôle majeur : particulièrement réussi, il enrichit de sa trame perpétuellement mouvante les rêveries des personnages et remonte sans doute à celles  de Gershwin : panneaux  qui s’entrecroisent, glissent autour des personnages et campent des scènes en un tour de rail, tableaux poétiques ou joyeusement colorés, qui font passer du Paris chromo aux grâces impressionnistes des rives de la Seine  et au graphisme tonique et coloré en aplat façon Mondrian, qui se prolonge dans les costumes du ballet final.
 
Certes , l’émotion n’est pas au rendez vous, malgré l’excellence de l’interprétation, et  même si l’on a voulu donner un peu de poids à la jolie bluette, tout n’est que prétexte à musique et danse, à plus forte raison avec une héroïne ballerine. Autour d’elle, si l’on retrouve dans les personnages la trace des américains fascinés par Montparnasse, que fréquenta Gershwin, remonte aussi un vague souvenir d’Henri Murger, avec ce petit groupe de jeunes artistes fauchés, peintre, musicien et chanteur de cabaret. Mais pour l’essentiel seule compte la joie de vivre, de respirer en scène, de divertir et de se divertir en légèreté, Quoi demander de plus à une comédie musicale?
C’est pour cette musique l’occasion d’un vrai retour en force, dont est exempt toute nostalgie d’un film devenu culte mais qui a vieilli aujourd’hui et que ne sauvent plus que le talent de Gene Kelly et de Leslie Caron. Tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles, sur l’optimiste scène du Châtelet, et ce virevoltant American in Paris va semer le bonheur. Il est à savourer en famille sans modération, avec sa fraîcheur inoffensive et son chic rétro. Attention tout de même, une phrase osée : Mila, la mécène, ne dit- elle pas à Lise, la jeune héroïne : «  je n’ai pas couché avec Jerry (l’amoureux de Lise) !» (oh !). Déjà qu’il y a de « légères références sexuelles » dans Paddington, prévient la britannique commission de classification des films !
 
Jacqueline Thuilleux
 
Gershwin (arrgt. C. Lucas, R. Fisher, C. Austin) : An American in Paris - Châtelet, 10 décembre 2014, représentations tous les jours jusqu’au 4 janvier 2015, sauf les 15, 25 et 29 décembre. www.concertclassic.com/concert/american-paris-gershwin

Photo © Angela Stirling

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