Journal

Alla Francesca au Musée de Cluny - Maître en courtoisie - Compte-rendu

Faisant suite à la fin'amor des Troubadours, le répertoire des Trouvères s'épanouit tout au long du XIIIème siècle, qui décline en langue d'oïl les thèmes de l'amour courtois, et tout particulièrement celui de l'amour inaccessible. Favorisé par la prospérité des villes du Nord et de l'Est de la France, l'art de la chanson profane s'ouvre alors à de nouveaux auditoires, favorisé par le développement d'une bourgeoisie en plein essor. Entre Flandre et Champagne, les trouvères s'organisent ainsi en confréries et leurs meilleures chansons sont couronnées à l'occasion de grands concours publics appelés Puys. Plus précisément, il y a ici tout un foisonnement studieux - poèmes, enluminures, miniatures - qui nous permet de mieux entrer dans l'intimité de la captivante lyrique courtoise.

Dans cette Renaissance avant la lettre, les œuvres, à travers les noms des auteurs, déclinent leur identité géographique. Avec un créateur qui se détache tel un emblème: le roi de Navarre Thibaut IV de Champagne (1201-1253), auteur de quelque 60 chansons (d'amour, de dévotion et de croisade) qui marient la grâce à la veine rustique (La pastourelle L'Autrier par la Matinée).

Fils de Thibaut III, il était l'arrière petit-fils d'Aliénor d'Aquitaine qui entraîna dans son sillage nombre de troubadours jusqu'en Angleterre et Dante le salue comme l'un des plus illustres poètes de son temps. Mais son aîné Conon de Bethune (il commença son activité littéraire dans les années 1180) est presque aussi connu, qui participa aux 3ème et 4ème croisades. Quant à Gace Brulé, chevalier champenois de petite noblesse, il naît vers 1159 et fut sans doute l'un des trouvères les plus appréciés de son temps, de même que Hue de la Ferté qui appartint à la noblesse du Maine et s'opposa à la régente Blanche de Castille, mère du futur Saint-Louis, dans plusieurs chansons (entre 1226 et 1230). En revanche, on ne sait rien de précis sur les vies de Jocelin de Bruges et Mahieu de Gand, sinon qu'ils vécurent tous deux au XIIIème siècle, tout comme Maroie de Dergnau, originaire de la région lilloise : l'une des rares femmes trouvères dont le nom nous soit parvenu (elle a laissé deux chansons témoignant d'un vrai savoir-faire).

Aussi bien, fallait-il de fins musiciens - à la fois gardiens du patrimoine et exhumateurs avisés - pour réveiller cette passionnante école de courtoisie, à l'enseigne des chefs de file qu'on vient de citer. Un rôle tenu sans défaillance par le "concert" agile d'Alla Francesca. La polyvalente Brigitte Lesne (chant, harpe, rote, percussions), y est l'œuvre, habile à fédérer les talents (le chant habité de Pierre Bourhis et Emmanuel Vistorky, les interventions instrumentales stimulantes de Michaël Grébil et Vivabiancaluna Biffi), un dernier bonheur tenant dans le fait que le même ensemble sera très présent tout au long de l'été, pour revisiter ici l'art du joglar(1), là, les musiques précolombiennes et amérindiennes, ailleurs les répertoires fondateurs de la Méditerranée. La vérité médiévale est ici en marche, confortée, toujours à Cluny, par l'exposition « Une Renaissance, L'art en Flandre et Champagne, 1150-1250 », à découvrir jusqu’au 15 juillet.

Roger Tellart

(1) forme musicale intégrant la chanson de Trouvère à une gestuelle destinée au bonheur visuel du spectateur.

Paris, Musée de Cluny, 3 juillet 2013

Musée de Cluny : www.musee-moyenage.fr

Ensemble Alla Francesca : http://cmmp.pagespro-orange.fr/alla.francesca.html

> Vous souhaitez répondre à l’auteur de cet article ?

> Lire les autres articles de Roger Tellart

Photo : DR
 

Partager par emailImprimer

Derniers articles