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Alexandre Kantorow en récital à la Fondation Louis Vuitton – Un grand est né – Compte-rendu

Auditorium plein comme un œuf à la Fondation Louis Vuitton pour le premier récital parisien d’Alexandre Kantorow (1) dans une salle désormais incontournable pour tous les amoureux de piano. A dix-huit ans seulement, l’interprète a déjà fait pas mal parler de lui à l’occasion de la sortie d’un enregistrement des deux concertos et de Malédiction de Liszt, sous la direction de son père, Jean-Jacques, avec le Tapiola Sinfonietta (1CD BIS). Un disque très réussi, mais qui n’est qu’un disque et ne donne pas l’exacte mesure de son talent ; on l’a compris en cédant à la magie de son jeu en concert.
 
Evacuons d’emblée la questions des moyens, phénoménaux mais qui jamais ne se montrent. Aucun effet de manche. Kantorow n’a pas à aller chercher ses auditeurs, il les « aimante »,  naturellement, et garde toute latitude pour se concentrer sur la seule musique. Programme russe - impeccablement équilibré - avec pour pièce « de résistance » la 1ère Sonate de Serge Rachmaninov. Un signe qui ne trompe pas ; tant d’autres auraient « débarqué » avec la Seconde (en version révisée évidemment)...
Le Scherzo à la russe op. 1 n° 1 de Tchaïkovski pour se mettre en doigts. Approche élancée, nerveuse mais sans une once de crispation, pleine de couleurs ; le plaisir de jouer à l’état pur !

Et le moment est déjà venu pour l’ancien élève de Frank Braley au CNSMD de Paris de se lancer dans l’océan musical de la Sonate op. 28 ; une traversée que le jeune homme entreprend avec un calme souverain. Il sait où il va.
Boris Berezovsky a déjà invité à deux reprises Alexandre Kantorow dans son Festival Pianoscope de Beauvais. C’est justement à Berezovsky que l’on songe en l’écoutant dans cette œuvre. Non pas qu’il cherche de quelque façon à imiter son aîné dans Rachmaninov, mais parce que, à son instar, il domine de façon absolue la partition. Il n’est pas à sa hauteur, il est au-dessus d’elle – très au-dessus.
Comme toute la salle, on sort franchement secoué de la plongée dans cette œuvre complexe, mal-aimée, mais si riche et si envoûtante quand elle est menée avec pareille noblesse et pareil sens des timbres. Des doigts fabuleux évidemment mais, aussi, une pédalisation d’une subtilité rare. Conjugués, ils autorisent Kantorow à façonner librement le matériau sonore (vrai miracle poétique que l’Andante central), à l’accorder à l’expression – des plus infimes nuances jusqu’à des déploiements « symphoniques » jamais guettés par la saturation – pour se faire conteur, chanteur aussi, et entraîner son auditoire vers les plus beaux horizons poétiques. Avec quelle foncière simplicité...
 
L’art de la couleur, Alexandre Kantorow le manifeste à nouveau après la pause dans le triptyque de L’Oiseau de feu de Stravinski/Agosti. Ici encore, la technique libère l’expression. En savourant la myriade de timbres de la Berceuse, on s’est pris à rêver de ce que le virtuose nous offrira dans Ravel ...
Deux Tchaïkovski (Méditation op. 72/5 et Passé lointain op. 72/17), d’un lyrisme parfaitement tenu et sans un gramme de mièvrerie, avant que le pianiste ne se lance dans le fameux Islamey, si souvent massacré par des virtuoses pressés. Et la pièce de Balakirev de montrer sous des doigts aussi assurés qu’inspirés un visage inédit : un véritable poème pour piano se révèle à l'oreille.
 
Tchaïkovski/Wild et Mozart/Volodos (un peu enrichi par Kantorow !) en bis concluent la soirée en beauté.
18 ans... Un espoir ? Non, un grand déjà.
 
Alain Cochard

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(1) Les mélomanes les plus curieux ont pu entendre Alexandre Kantorow en musique de chambre, avec le violoniste David Petrilk, en novembre 2015 à l’Hôtel de Soubise. Une fois de plus « Jeunes Talents » a vu juste... 

Paris, Auditorium de la Fondation Louis Vuitton, 11 avril 2016

Photo © Jean-Baptiste Millot

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