Journal

Aldo Ciccolini (1925-2015) – La vérité du texte - Hommage Concertclassic

Il aurait eu 90 ans le 15 août prochain… Aldo Ciccolini s’est en allé dans la nuit du 31 janvier au 1er février à son domicile d’Asnières-sur-Seine –  un modeste pavillon où ce grand insomniaque s’était installé il y a bien longtemps afin de pouvoir travailler son piano nuitamment sans déranger le voisinage.

 "Aldo, c'est la grâce..."

Vraie légende qu’un artiste dont les disques ont marqué des générations – première gravure en 1950, cinq sonates de Scarlatti (1), derniers enregistrements en 2011, Mozart, 2012, Mozart et Clementi, et 2013, un programme autour de la valse (2). Si la carrière du concertiste a pu connaître des périodes de creux depuis son démarrage en fanfare grâce au Premier Prix du Concours Long-Thibaud en 1949, Aldo Ciccolini est demeuré fidèle au studio d’enregistrement et, partant, présent dans le cœur des mélomanes. Un art inimitable que Samson François a caractérisé en une formule aussi célèbre que juste : « Aldo, c’est la grâce… ».
 
Son nom reste évidemment associé à Satie (un succès qu’il était très loin d’envisager en 1956 lorsqu’il grava ses tout premiers morceaux du maître d’Arcueil ; deux intégrales suivirent, l’une en mono, l’autre en stéréo …) et à Liszt, mais il a enregistré tant d’autres auteurs, à commencer par tous ces Français célèbres ou bien plus méconnus, et aussi des musiciens auxquels on le relie moins spontanément. Quelles merveilles pourtant que son 2ème Concerto de Rachmaninov sous la baguette de Silvestri, son Iberia, ses Goyescas, ses Brahms, sa D 960 de Schubert et ce noir et bouleversant récital Janáček où l'on croirait que Cioran s'est fait pianiste.
 
Lire le texte

Entre le concert et le disque, Ciccolini n’établissait pas de différence fondamentale, toujours mû par la même impérieuse exigence envers le texte musical. « L’inspiration n’est pas la colombe du Saint-Esprit qui se pose sur notre épaule durant une soirée de grâce au Théâtre des Champs-Elysées, disait-il. L’interprétation est dans la musique écrite ! »
Ciccolini avait étudié à Naples auprès de Paolo Denza, un élève de Ferruccio Busoni : pédagogie fondée sur la répétition bien plus que la compréhension, l’explication - un vrai contre-exemple pour le pédagogue qu’il deviendra plus tard ! D’ailleurs, lorsqu’il quitte le Conservatoire San Pietro a Magella, l’adolescent confie à sa mère : « je n’aime pas ma façon de jouer ». Et de tout remettre en question au lendemain de la guerre, de repenser et rebâtir de fond en comble sa technique (d'autant que son activité pianistique a été interrompue pendant trois ans à cause du conflit), en partie grâce à la découverte d'un ouvrage dont il nous a très souvent parlé : Dinamica pianistica d’Attilio Brugnoli (preuve de cet intérêt, il en a d’ailleurs préfacé la réédition en 2011 chez Florestano). Fort de ce travail, Ciccolini tirera d’autant plus profit des rencontres avec Cortot – ô combien admiré ! -, Nat ou Marguerite Long - sa chère "Guiguite"... -, mais aussi Jacques Thibaud avec lequel le jeune pianiste aura l’immense bonheur de faire un peu de musique de chambre avant la disparition tragique du violoniste en 1953.
 
Se forger un outil, faire du piano le prolongement naturel de la main, du corps…  pour servir le compositeur. Rien pour la galerie ! Aldo Ciccolini assimilait la tâche de l’interprète à un sacerdoce. Pas de petit ou de grand compositeur mais LA MUSIQUE. Sonate de Beethoven ou valse de Germaine Tailleferre, il abordait toujours avec la même philosophie, la même honnêteté son rôle d’intermédiaire entre les intentions d’un créateur et l’auditeur.
 
Lire le texte : s’il est une formule qui résume et donne la clé de l’art de Ciccolini, c’est bien celle-là. « Les gens ont peur de jouer tous de la même façon et finissent par jouer de la même façon par ce qu’il ne lisent pas le texte, me confia-t-il un jour. Il faut avoir le courage de faire table rase et de relire la partition comme si on ne l’avait jamais lue. Et l’on fait parfois des découvertes… ». Je le retrouve un jour chez lui pour une interview. On s’enquiert de sa forme. « Très mal dormi ! ; soudain le visage s’illumine, je me suis levé vers quatre heures, j’ai ressorti la 3ème Sonate de Chopin de ma bibliothèque et… j’ai découvert une liaison à laquelle je n’avais pas fait attention auparavant », m’explique-t-il en posant l’index à l’endroit précis de la partition.
Ce souci d’exactitude reposait pour beaucoup sur l’exemple d’Elisabeth Schwarzkopf et..., plus encore, de Walter Legge. Ciccolini a été profondément marqué par sa collaboration avec la soprano allemande (à partir de 1969) et par les séances de travail sous la conduite de Legge. « Avec lui j’ai compris ce que lire un texte signifie »…
 
Un merveilleux pédagogue

Aldo Ciccolini aura eu à cœur de faire partager sa conception de la musique et de l’interprétation à ses élèves, au Conservatoire de Paris d’abord, puis dans de nombreux cours et masterclasses qu’il a continué de donner jusque très récemment. Rue de Madrid, il reprit la classe de Monique Haas au tout début des années 70 (moment où il fut naturalisé français) et, dix-huit années durant, a laissé une profonde empreinte sur de nombreux étudiants. « Travailler le piano ou tout autre instrument est un droit merveilleux, pas un devoir ! » Ciccolini était tout le contraire du pédagogue dictateur - le tutoiement était de rigueur dans sa classe. Enseigner à des pianistes en devenir c’était faire de la musique avec eux, apprendre d’eux aussi.
 
 

© Bernard Martinez
 
Près de Séverac

La passion d’Aldo Ciccolini pour le répertoire français n’est plus à dire. A côté des compositeurs fameux, il a exploré bien des territoires méconnus. La musique de Déodat de Séverac par exemple. On ne peut que conclure en évoquant cet artiste dont il admirait profondément la discrétion et l’art emprunt de modestie. L’auteur de Cerdaña repose à Saint-Felix-Lauragais. C’est là, à quelques pas de sa tombe, que conformément à son vœu, le pianiste sera inhumé (3). Tout un symbole.
 
Alain Cochard
 
(1) disponibles, comme la plus grande part du legs discographique d’Aldo Ciccolini dans le coffret de 56  CD édité par EMI Classics
 
(2) Trois enregistrements réalisés pour le label La Dolce Volta
soundcloud.com/ladolcevolta/sets/aldo-ciccolini-la-dolce-volta
 
(3) L’inhumation se déroulera dans la plus stricte intimité. Elle aura été précédée d’une cérémonie d'adieu à Paris, église de la Madeleine, vendredi 6 février à 14h30
 
Photos © Bernard Martinez

Partager par emailImprimer

Derniers articles