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​Alcina à l’Opéra Royal de Versailles – Les plaisirs de l’île enchantée – Compte-rendu

 
Bien que bousculée par le sommet des chefs d’Etat européens qui a obligé à déplacer la première des trois représentations, malgré les cordons de CRS qui encerclent encore le château, Alcina a pu être représentée, et bien représentée, à l’Opéra de Versailles ce vendredi 11 septembre.
Premier motif de satisfaction : à la tête de son Collegium 1704, Václav Luks dirige une partition bien plus complète que ce n’est souvent le cas, ce qui a pour principal effet de modifier sensiblement la physionomie de l’œuvre. La présence des ballets, ici maintenus (sauf celui qui, en 1735, avait été repris à Ariodante et greffé de manière assez artificielle à la fin du deuxième acte) donne à cet opéra de petits airs de tragédie lyrique française, non seulement parce qu’ils introduisent des divertissements dansés au début et à la fin du spectacle, mais parce que leur musique, avec ses rythmes pointés et ses moments bondissants, nous renvoie tout droit à l’esthétique lullyste, ainsi que le chef tchèque le met parfaitement en évidence. Avec un percussionniste très présent, l’orchestre dispense des couleurs fort séduisantes, et l’on saluera entre autres la prestation, au sein du continuo, de la violoncelliste Hana Fleková, déchirante dans « Credete al mio cor ».
 

© Marek Olbrzymek

Autre plaisir de cette île enchantée qu’habite Alcina, la mise en scène signée Jiří Heřman cherche à refléter la composante magique de l’œuvre, avec la complicité de décors et de costumes qui jouent à fond la carte du merveilleux, au risque du kitsch et de l’excès, parfois. On apprécie la touche amusante que permettent aussi certains des captifs-animaux de la magicienne, car le livret n’est lui-même pas dépourvu d’humour. Le principal défaut de cette production est finalement d’épuiser d’emblée toutes ses cartouches : le palais d’Alcina ne cesse de s’ouvrir et de se refermer, souvent de manière assez gratuite, et l’œil d’abord admiratif ne s’étonne plus de voir le fond du plateau changer un peu trop souvent. Tout bouge encore même au dernier acte, quand l’enchanteresse et sa sœur renoncent à leurs tenues colorées, le tableau final soulignant malgré tout la solitude d’Alcina.
 

© Marek Olbrzymek

C’est au moins la troisième fois que Karina Gauvin propose son incarnation de la magicienne au public parisien, qui a pu l’entendre en 2003 à la Cité de la musique, et en 2012 à Versailles déjà, mais en version de concert. La soprano canadienne paraît d’ailleurs ici moins libre, comme si la perruque poudrée et la robe à paniers qu’elle porte pendant les deux premiers actes ne la laissaient pas mettre l’intégralité de ses moyens au service de la musique : heureusement, on retrouve intacte toute sa faculté de nous bouleverser avec « Mi restano le lagrime ».
Sa sœur Morgana trouve en Mirella Hagen une interprète brillante, dont la virtuosité, le vibrato serré et les couleurs de vif argent rendent parfaitement justice à « Tornami a vagheggiar », pris assez vite pour conserver son caractère stupéfiant. Très convaincant scéniquement, Kangmin Justin Kim possède un timbre agréable mais sa voix ne s’épanouit pleinement que dans la partie plus élevée de la tessiture, et le grave est souvent confidentiel : les notes tenues les plus basses de « Sta nell’Ircana » ne sont guère audibles, par exemple.
 

Vaclav Luks © Petra Hajska

L’indisposition de la chanteuse prévue a imposé un remplacement de dernière minute, mais comme le spectacle a été créé à Brno avec une double distribution, Bradamante a simplement pris le visage de son autre titulaire : Monika Jägerová lui prête une belle énergie. Même si le rôle n’est pas des plus gratifiants, Krystian Adam n’en est pas moins un superbe Oronte. D’une petite taille idéale pour Oberto, Andrea Široká en a aussi la voix, mais l’on regrette qu’un certain manque de projection empêche Tomáš Král de donner tout son impact à son air unique. Par son engagement vocal et scénique, le Collegium Vocale 1704 complète de façon fort adéquate la distribution.

Coproducteur de cette Alcina, le théâtre de Caen reprendra le spectacle les 5 et 6 mai prochains.

Laurent Bury

Haendel : Alcina - Opéra Royal de Versailles, 11 mars ; prochaines représentations les 12 & 13 mars 2022 // www.chateauversailles-spectacles.fr/programmation/haendel-alcina_e2458 . Reprise au Théâtre de Caen les 5 et 6 mai 2022 / theatre.caen.fr/spectacle/alcina
 

Photo © Marek Olbrzymek

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