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Akhnaten de Philip Glass à l’Opéra de Nice (Streaming) – Sous le soleil exactement – Compte-rendu

Avec cet Akhnaten de Philip Glass, l’Opéra de Nice avait décidé de sortir des sentiers battus. Dernier volet d’une trilogie consacrée à l’Histoire et à ses grandes personnalités, après Einstein on the beach (1976) et Satyagraha (1979), Akhnaten créé à Stuttgart en 1984, relate le règne du premier pharaon à avoir instauré le culte monothéiste du dieu solaire Aton, au détriment des autres divinités. Régulièrement reprise aux Etats-Unis, au Royaume Uni et en France, l’œuvre du pape de la musique minimaliste et répétitive, aurait dû être présentée au public niçois début novembre si le confinement n’en avait décidé autrement. Le nouveau directeur des lieux, Bertrand Rossi, a cependant convaincu ses équipes de sauver ce spectacle dit, mis en scène et chorégraphié par Lucinda Childs, en le captant pour qu’il soit vu en streaming par le plus grand nombre. Il eût été regrettable que tout le travail mené avant l’annonce de la fermeture des opéras soit réduit à néant.
 

© BdL

Bien que réalisé par caméra interposée, Lucinda Childs n’ayant pu se rendre en France et donnant ses instructions depuis l’Amérique, l’ambitieux ouvrage de Glass a ainsi pu voir le jour. Particulièrement investis sur ce projet, les musiciens, choristes (préparés par Giulio Magnanini), solistes, danseurs mais aussi vidéaste (Etienne Guiol) et éclairagiste font corps autour du chef Leo Warynski, très à l’aise avec la partition – une succession de scènes qui racontent l’histoire du règne d'Akhénaton, de l’accession au trône du fils d’Aménophis III jusqu’à sa chute dix-sept ans plus tard. Chantée en akkadien, en hébreu biblique, en égyptien ancien et en anglais, sur une musique qui joue sur la répétition de courtes structures ou de cellules, les rythmes martelés à l’envi d’où émanent de surprenants solos (de vents, de cuivres et de cloches), l’œuvre fascine autant qu’elle exaspère. Les textes originaux, assez abscons, dont un poème du pharaon issu du Livre des morts des Anciens Egyptiens, complétés par des extraits de décrets et de lettres rédigés pendant la période dite « Amarna », forment un étrange charabia surtout lorsqu’il sont chantés par les chœurs ou lors d’imposants tutti, quand il ne s’agit pas d’onomatopées répétées ad libitum par les protagonistes ; Akhnaten étant le seul à hériter à proprement parlé d’un grand air (en anglais), « L’hymne au soleil » qui clôt le second acte, tandis que le narrateur Amenhotep confié ici à Lucinda Childs – dont le visage vient s’incruster en image vidéo – a pour fonction de relier les scènes entre elles.
 

© Etienne Guiol

Sur l’immense disque solaire où alternent tantôt les solistes, tantôt les danseurs magnifiquement éclairés par David Debrinay, ou habillés d’hologrammes divers, se concentre l’action et se déploie la mise en scène, elle aussi minimaliste, mais élégante, inspirée par la gestuelle wilsonienne (le célèbre metteur en scène était déjà aux commandes de la création d’Einstein on the beach, sur laquelle dansait...Lucinda Childs). A l’exception du pharaon qui dispose d’un véritable rôle chanté, le reste de la distribution doit se contenter de quelques mots ou de notes, souvent très hautes, inlassablement reprisent : Vincent le Texier (Aye), Joan Martin-Royo (Horemhab), Frédéric Diquero (Amon) et Patrizia Ciofi (Reine Tye) tous les quatre très impliqués, ne déméritent pas, mais comment défendre un personnage avec si peu de matière ? Peine perdue également pour le beau registre grave de Julie Robard-Gendre (Nefertiti) qui ne nous parvient que par intermittence. Reste le rôle-titre, interprété par le contre-ténor Fabrice di Falco, dont l’aigu étranglé de la première scène fait d’abord craindre le pire, encore instable pour le duo avec Nefertiti, et enfin rétabli pour l’« Hymne au soleil », chanté avec plus de conviction.

Dirigé avec enthousiasme et compétence par Léo Warynski, qui sait obtenir le meilleur des instrumentistes de l’orchestre et des chœurs de l’Opéra de Nice, cet Akhnaten sauvé de l’annulation vient, malgré certaines limites, compléter très honorablement une discographie et une vidéographie déjà riche pour une œuvre de notre temps.

François Lesueur

Philip Glass : Akhnaten – Nice, Opéra, 20 novembre 2020. Disponible en replay sur : www.opera-nice.org/fr/news/2020-11-20/video-akhnaten-en-integralite
 
Photo © BdL

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