Journal

66e Concours International de Musique de Genève/ quatuor à cordes et chant - Les Quatuors Armida et Hermès 1er Prix ex aequo - Compte-rendu


Ponctualité suisse ? Les délibérations se prolongent bien au-delà de l’horaire prévu pour la proclamation du palmarès du volet quatuor à cordes du 66e Concours International de Musique de Genève, laissant pressentir un résultat inhabituel… La compétition helvétique est en effet réputée pour la fréquente non attribution de son Premier Prix. Une tradition tout à son honneur, dont certains concours - parisiens en particulier qui, du prestige, ne conservent plus hélas que la gloire lointaine des grands interprètes dont ils portent le nom - pourraient salutairement s’inspirer.

« Attendez-vous à des surprises», prévient Miguel da Silva, président du jury, au début de la cérémonie de remise des prix. Le verdict surprend en effet quand on connaît les habitudes du concours genevois, mais lui fait honneur par la cohérence et le souci d’équité – plus, la foncière honnêteté intellectuelle – qu’il traduit.

Compte tenu du niveau général de la compétition (14 formations présentes au départ) et des prestations lors de la finale, le jury a en effet opté pour un 1er Prix ex aequo (la somme de 20 000 FS, initialement prévue, étant attribuée à chacun des deux quatuors ; l’élégance(1) du geste est à saluer en des temps économiquement difficiles) décerné au Quatuor Hermès (France) et au Quatuor Armida (Allemagne). Deux écoles très différentes sont en effet en présence au meilleur niveau ; l’ex aequo reflète ce constat, comme l’explique Miguel da Silva.




Quatuor Hermès

Un petit cocorico - dussé-je déplaire à certains rabat-joie - : avec deux ensembles présents en finale à Genève, l’école française de quatuor a de quoi être fière. Le Quatuor Hermès a déjà fait parler de lui lors de son 1er Prix au Concours de musique de chambre de Lyon en 2009. C’est d’ailleurs au Conservatoire National Supérieur de la capitale des gaules qu’Omer Bouchez, Elise Liu, Yung-Hsin Chang et Anthony Kondo ont fondé leur ensemble en 2008 : un quatuor poète. Le Nocturne initial d’ « Ainsi la Nuit » est tout juste attaqué que déjà un monde sonore prend vie, d’une irradiante beauté. En 2009 à Lyon, les Hermès avaient obtenu un prix spécial Sacem pour l’œuvre d’Henri Dutilleux. On l’a souvent entendue, mais rarement avec un tel équilibre, une telle puissance suggestive, autant d’intelligence dans le frémissement sonore. « Le sourire aide à placer le son », dit Teresa Berganza (présidente du jury du volet chant du 66e Concours). A l’évidence, la remarque vaut aussi pour le quatuor : le bonheur, la complicité souriante des Hermès dans leur partage de la musique – à quatre certes, mais tout autant avec le public – s’entendent, chez Dutilleux comme dans le Quatuor n°12 op 127 de Beethoven. La construction, la rigueur vont de pair avec une fraîcheur et un naturel de la respiration (de l’humour aussi dans le Scherzando vivace !) et nous valent un Beethoven touchant et humain. A noter que le Prix « Coup de cœur Bréguet » consistant en l’enregistrement d’un CD revient au Quatuor Hermès – un précieux coup de pouce pour un jeune ensemble à l’orée d’une prometteuse carrière !




Quatuor Armida

Formé en 2006, le Quatuor Armida est, parmi les trois finalistes, le plus « ancien ». Dès l’attaque du Quatuor n°1 « Métamorphoses nocturnes » de Ligeti, l’homogénéité et la densité d’une sonorité mâle et granitique saisit l’auditeur ; une vraie vision s’impose et force l’admiration par sa puissance et son homogénéité (ce formidable Ligeti vaudra d’ailleurs aux Armida le Prix spécial Dr Glatt). Un autre sacré défi attend les quatre jeunes instrumentistes (Martin Funda, Johanna Staemler, Teresa Schwamm, Peter-Philipp Staemler) avec le Quatuor n°15 de Beethoven. Le Armida Quartett n’a pas été par hasard élève des Artemis… Tenu de bout en bout, leur Opus 132 se distingue par l’autorité, la sûreté d’un propos, souvent âpre, et une architecture fermement dessinée. Le Prix du Public va également aux quatre jeunes instrumentistes allemands.




Quatuor Girard

« Le quatuor est une longue patience », rappelle Miguel da Silva. Les membres du Quatuor Girard (quatre frères et sœurs ; Hugues, Agathe, Mayeul et Lucie Girard) ont encore un bout de chemin à parcourir pour égaler les prestations des deux autres formations lauréates. On lisait de la déception sur leurs visages au moment de l’annonce du palmarès. Pourtant un 3ème Prix au Concours de Genève n’a rien, franchement rien, de déshonorant quand on n’a pas encore terminé son cursus au CRR de Paris, c’est même un formidable encouragement ! Le Quatuor op 28 de Webern et le Quatuor n°15 de Beethoven ont montré les qualités de ces jeunes musiciens. Laissons au temps et à la vie le soin d’opérer ; la liberté, l’ouverture au public qui en résulteront auront raison du caractère pour l’instant trop appliqué, trop clos surtout, de leurs interprétations.


Grande édition de quatuor à cordes, toute petite édition de chant ; ainsi vont les concours… Mais là encore le jury, présidé on le rappelle par Teresa Berganza, aura su tirer toutes les conséquences du niveau constaté : pas de 1er Prix ni de 2ème Prix, seulement un 3ème Prix ex aequo que se partagent la mezzo française Antoinette Dennefeld et la soprano polonaise Ania Vegry (le « Grossmächtige Prinzessin » de Zerbinette, en seconde partie, lui ayant visiblement permis de faire oublier un Et incarnatus est de Mozart prosaïque et entaché de problèmes de justesse en début de soirée) au terme d’une finale sans relief au cours de laquelle on a par ailleurs entendu Eugen Chan (baryt., Etats-Unis), Sarah Pagin (sop., Suisse) et Ivanna Lesyk-Sadivsaka (sop., Ukraine), mollement accompagnés par l’Orchestre de la Suisse Romande dirigé par Jonathan Darlington.

Reconnaissons toutefois que, du point de vue de la personnalité et de la présence scénique, même si son Ravel et le Rossini appellent bien des réserves, Antoinette Dennefeld se détache à côté de concurrents qui ne parviennent à investir les textes et les rôles qu’ils sont censés défendre ; elle reçoit le Prix du Public.

La tâche d’un jury est de ne surtout pas bercer d’illusions de jeunes artistes avec un palmarès démagogique. Sachons gré à celui de l’épreuve de chant du 66ème Concours de Genève d’avoir eu le cran de ne pas céder à ce travers. Le chant aussi est une longue patience…


Rendez-vous en 2012 pour une 67ème édition uniquement dédiée au piano.

Alain Cochard

On notera que, s'agissant du Concours de chant, des prix spéciaux ont été décernés :

- Le Prix Spécial "Air France KLM" à Ania Vegry et Antoinette Dennefeld

- Le Prix Spécial "Cercle Richard Wagner" à Eva-Marie Hubeaux (mezzo, Suisse)

- Le Prix Spécial "Cercle du Grand Théâtre" à Ivanna Lesyk-Sadivsaka

(1) A propos d’élégance du geste - et puisque nous sommes en Suisse - signalons que ce sont donc non pas quatre montres que Bréguet, principal partenaire privé du Concours de Genève, offre cette année, mais huit !

66ème Concours International de Musique, Genève/ Quatuor : Conservatoire, 20 novembre 2011, Chant : Grand Théâtre, 21 novembre 2011

> Vous souhaitez répondre à l’auteur de cet article ?

> Lire les autres articles d'Alain Cochard

Photo : DR

Partager par emailImprimer

Derniers articles