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65ème Festival Pablo Casals de Prades – De Vienne à Madrid

Qu’il s’agisse du public ou des musiciens, la relation avec Prades se place d’abord sous le signe de la fidélité. Le Fine Arts Quartet compte depuis longtemps parmi les habitués du Festival Pablo Casals, mais aussi du corps enseignant de son Académie - la session 2015, la 45ème, aura rassemblé près de 150 stagiaires. C’est avec bonheur que l’on a retrouvé la formation américaine à Saint Michel de Cuxa lors d’une soirée partagée avec le Shanghai Quartet. Un ensemble que Michel Lethiec, directeur artistique, invite régulièrement depuis une demi-décennie environ.
 
Au Fine Arts Quartet d’ouvrir le programme avec l’Opus 77 n°1/ Hob.III.81 de Haydn. Les quatre archets sont à leur affaire dans un ouvrage dont ils saisissent l’esprit avec beaucoup de naturel. Dès l’amorce de l’Allegro moderato initial on comprend que style et humanité feront bon ménage dans un Quatuor en sol majeur servi par une respiration généreuse et des coloris raffinés. On ne ne saurait résister à tant de simplicité souriante.

Le climat change du tout au tout avec le Quatuor n° 4 de Bartók. D’une personnalité sonore très différente de celle du Fine Arts, le Shanghai Quartet est un familier de la musique de XXe siècle, et la formation idoine pour s’attaquer à cette partition charnière dans le corpus des six quatuors du Hongrois. Nulle sécheresse, nul intellectualisme au cours d’une interprétation intensément vécue, mais une précision, une énergie et une étendue de la palette sonore admirables. La densité des quatre mouvements vifs ne rend que plus prégnante la pulsation cosmique d’un Non troppo central dans lequel on savoure la longueur d’archet et la sensibilité du violoncelliste Nicholas Tzavaras. Très grand moment que ce Bartók.

Le Shanghai Qartet et le Fine Arts Quartet réunis dans l'Octuor op. 20 de Mendelssohn © Hugues Argence
 
Ouvrage cher au Festival Pablo Casals, le fameux Opus 20 en mi bémol majeur de Mendelssohn associe le Fine Arts et le Shanghai Quartet pour une fin de programme en octuor. De son jeu lumineux, Weigang Li (premier violon du Shanghai Quartet) conduit rondement l’affaire et emmène ses partenaires dans une lecture pleine de jeunesse et de flamme dont l’élan ne nuit jamais à la clarté et à la délicatesse du trait (superbe Scherzo, impalpable et féerique à souhait).
 
Prades est on le sait attaché aux grands auteurs, germaniques en particulier, chers à Pablo Casals. Si les noms de Schubert et Brahms ne créent pas la surprise, le programme donné le lendemain à l’église Saint-Pierre avec Charlotte Hellekant (photo) aiguise toutefois la curiosité car les lieder de Schubert qu’interprète la mezzo suédoise ont été arrangés par Brahms, Reger, Liszt, Webern ou Britten. Initialement destinées à un orchestre étoffé, ces transcriptions sont proposées en petit effectif - variable selon les cas - avec Patrick Gallois et Yaeram Park, flûtes, Jean-Louis Capezzali et Gabriel Pidoux, hautbois, Michel Lethiec et Isaac Rodriguez, clarinettes, Giorgio Mandolesi et Axel Benoît, bassons, André Cazalet et Victor Ozounoff, cors, le Shanghai Quartet et Jurek Dybal à la contrebasse. Cette option permet de préserver l’intimisme du propos tout en profitant du changement de perspective induit par l’arrangement de la partie de piano.
 
Placé sous le signe de la voix, le concert n’en oublie pas pour autant le répertoire instrumental. On ne pouvait trouver plus originale entrée en matière que la rarissime Ouverture en ut mineur D. 8 pour quintette à deux altos dont le Shanghai Quartet et Yuval Gotlibovich restituent les accents pathétiques – Schubert n’avait que 14 ans lorsqu’il écrivit cette pièce étonnante et visionnaire… L’accompagnement de Geheimes D. 719 (arr. Brahms), pour quatuor et cor seulement, manque ici d’un peu d’ampleur du côté des cordes, mais la riche voix de Charlotte Hellekant charme immédiatement : un beau voyage poétique commence. L’art de diseuse de la mezzo, sa justesse d’intonation, la complicité exemplaire qu’elle entretient avec les instrumentistes qui l’entourent font merveille ensuite dans un panthéiste Im Abendrot D. 799 (arr. Reger) et dans Die Junge Nonne (arr. Liszt), saisissant de relief et d’urgence. Engagé, mais sans rien de surligné, le Quartettsatz en ut mineur D. 703, sous les archets du Shanghai Quartet, conduit à Ihr Bild D. 957, lied tiré du Schwanengesang et arrangé par Webern. Les interprètes y parviennent à une remarquable symbiose entre la voix et un accompagnement très sobre, essentiellement dévolu aux cordes avec de discrètes ponctuations des vents.
Le ton change avec le fameux Erlkönig D. 328 (arr. Reger) qui, ainsi arrangé et interprété - avec quel art C. Hellekant caractérise-t-elle les personnages du poème de Goethe ! - se projette dans le XXe siècle avec une puissance expressive quasi expressionniste. Du bist di Ruh D. 776 (arr. Reger) apporte l’apaisement et souligne la qualité de l’écoute réciproque entre la chanteuse et des partenaires attentifs à chacune de ses inflexions. A la fameuse Truite D. 550 (arr. Britten) de conclure, de la plus tendre et lumineuse façon !
Après la pause le 2ème Sextuor de Brahms rassemble les archets d'Hagal Shaham, Christian Altenburger, Yuval Gotlibovich, Diemut Poppen, Arto Noras, Frans Helmerson et offre un prolongement idéal au lyrisme schubertien. De bout en bout, il n’est question que de chant dans une interprétation où l’intensité et la complicité des échanges font mouche. Et que de poésie et de variété trouve-t-on dans le Poco Adagio dont les instrumentistes explorent les atmosphères avec beaucoup d’imagination...
 

Luis Fernando Pérez © P.H. Martin
 
De Prades à l’Espagne, le chemin est vite parcouru et le répertoire hispanique inspire souvent certains concerts du festival. C’est le cas avec un programme « Impressions d’Espagne » au début duquel le Quatuor op. 52 n° 5 de Boccherini vient opportunément rappeler le rôle – trop sous-estimé – de cet auteur dans la genèse de la forme reine de la musique de chambre. Après Bartók et Schubert, le Shanghai Quartet change d’univers mais ne convainc par moins dans une musique dont la tendresse, la fluidité, la grâce sont rendues avec tact, tout comme l’arrière-plan inquiet du Minuetto con moto ou l’originalité d’un finale Allegro giusto qui réserve une étonnante cadence au premier violon.
Nouveau venu au Festival Pablo Casals, Luis Fernando Pérez y fait ses premiers pas dans la Danse d’Aragon (2014) de José Peris Lacasa (né en 1924), donnée en présence de l’auteur. Guère de surprise dans cette pièce de facture traditionnelle, qui se termine de manière étonnamment... lisztienne, mais une occasion de savourer le jeu timbré et nuancé du pianiste.
Le nombre et la diversité des instrumentistes présents à Prades est le gage de programmes aux effectifs très variés. Après la Danse de Lacasa, Pérez est rejoint par Bruno Pasquier, Mihaela Martin, Gil Sharon, Yuval Gotlibovich et Ivan Monighetti dans la Scène andalouse op. 7 de Turina, emplie de couleurs et de fragrances nocturnes.
Sous l’archet de Monighetti, avec cette fois Peter Frankl au clavier, la Pièce en forme de Habanera de Ravel prélude avec une sensuelle indolence à l’Intermezzo des Goyescas de Granados (arrangé par Gaspar Cassadó) dans lequel les teintes du violoncelle et du piano s’accordent idéalement
En supplément au programme, Monighetti offre l’Intermezzo et Danse pour violoncelle solo de Cassadó et remporte tous les suffrages, signant une interprétation proprement transcendante, pleine de mystère et d'ardeur.
 
La Sonate pour violon et piano de Debussy s’éloigne de la thématique espagnole ? Qu’importe. Seul compte le dialogue poétique que nouent Mihaela Martin et P. Frankl, fidèles à la lettre du texte, mais d’une humeur libre, pleine de fantaisie et d’émerveillement.
Le compositeur Olivier Kaspar a réalisé une transcription pour trio avec piano de la fameuse España de Chabrier à la demande du Trio Hoboken. Gil Sharon, I. Monighetti et P. Frankl s’emparent de cet arrangement très réussi avec un élan et un humour qui font mouche, avant que M. Martin, G. Sharon, B. Pasquier, I. Monighetti, Jurek Dybal et L. F. Pérez ne se retrouvent pour la Pantomime et danse rituelle du Feu de Manuel de Falla. Une musique fameuse pour conclure un concert extrêmement original, toujours synonyme de couleur et d’engagement. Programme généreux, il se fait tard, mais les interprètent bissent la fameuse Danse rituelle du maître de Cadix, pour le plus grand bonheur du public nombreux réuni à Saint Michel du Cuxa.
 
Alain Cochard
 
Prades, Abbaye Saint Michel de Cuxa, église Saint-Matthieu, les 1er, 2 et 3 août 2015.
65ème Festival de Prades, jusqu’au 13 août 2015 : www.prades-festival-casals.com
 
 Photo (Charlotte Hellekant)  © Hugues Argence

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