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59e Festival de Prades - Entre tradition et rareté - Compte-rendu



Bach, Mozart, Beethoven, Schubert, Schumann, Brahms : pendant longtemps le vénérable Festival de Prades est resté attaché à quelques grands noms de la littérature germanique dans la tradition établie par Casals et ses amis musiciens. Si ces auteurs continuent d’occuper une place importante on note, depuis l’arrivée du clarinettiste Michel Lethiec à la direction artistique, une bénéfique ouverture en direction de répertoires plus rares, celui des vents en particulier, mais aussi sur la musique du XXe siècle et la création.


Le programme intitulé « Soirée à la Scala » illustre l’orientation prise par le Festival. Une Ouverture en ré de Salieri réunissant le Quatuor Talich et le contrebassiste Jurek Dybal ouvre de souriante et savoureuse manière un concert où l’on se régale ensuite du Concerto pour hautbois de Bellini avec les mêmes archets et Jean-Louis Capezzali en soliste. Verve, tendresse, pétillante fraîcheur : un petit délice, tout comme le Divertissement sur des thèmes de « La Somnambule » de Bellini qui suit, avec Yves Henry au piano et toujours les Talich et J. Dybal. Très élégante, l’approche sait faire oublier le caractère un rien bavard de la partition du Russe et cultive lyrisme et brio avec chic. Un même sentiment de bonheur insouciant se dégage du Grand Duo concertant pour clarinette, contrebasse et cordes de Bottesini où Michel Lethiec et la tonique contrebasse de Jurek Dydal nouent un dialogue tout de charme et d’humour avec la lumineuse complicité des Talich.


Mystérieux point d’interrogation en début de seconde partie, Lied pour clarinette solo de Luciano Berio permet de découvrir Isaac Rodriguez (disciple de Michel Lethiec et figure majeure de la clarinette en deçà des Pyrénées), dont la présence, la poésie et l’art des plus infimes nuances captivent. Bientôt la légèreté est de retour avec le Quatuor à vents n°6 de Rossini que Félix Renggli (flûte), Isaac Rodriguez, André Cazalet (cor) et Richard Galler (basson) explorent avec sens de la couleur et gourmandise.

Au Fine Arts Quartet (dans sa nouvelle configuration puisque le violoncelliste Eric Wilson a remplacé Wolfgang Laufer, décédé soudainement en juin dernier) revient de conclure la soirée. La rareté demeure de mise avec de prégnants Crisantemi de Puccini et le Quatuoren mi mineur de Verdi. L’unique ouvrage de musique de chambre de l’auteur d’Aïda est abordé avec une tenue et une clarté polyphonique (superbe Scherzo fuga conclusif !) qui font regretter la trop grande discrétion dans les programmes de cette composition assez énigmatique.


Très présent dans les villages autour de Prades pour des concerts en fin d’après-midi, le Festival était pour la première fois cette année l’hôte de l’église de Vinça. Les curieux ont été gâtés une fois de plus avec Jean-Louis Capezzali, Véronique Bogaerts (violon), Vladimir Mendelssohn (alto) et Jérome Pernoo (violoncelle) dans le Quatuor pour hautbois et cordes en fa majeur op 8 n°3 de Carl Stamitz. Le jeu parfaitement articulé et la riche sonorité du hautboïste rendent justice à une figure majeure de l’école de Mannheim qui marqua tant Mozart. Autre influence subie par ce dernier, Michaël Haydn est représenté par le Quintette à cordes en do majeur op 88, donné par le Fine Arts Quartet augmenté de l’alto de Bruno Pasquier.
Prades à raison de redécouvrir de tel ouvrages, surtout quand ils sont interprétés avec autant de cœur et d’amicale complicité (à leur meilleur ici dans l’Adagio cantabile où le violon de Ralph Evans invite à un tendre rêve). Wolfgang Amadeus ne pouvait être absent d’un tel programme : une transcription pour vents de l’Adagio et Allegro en fa mineur pour orgue mécanique KV 594 est ici son porte-parole, défendue avec finesse et conviction par Felix Renggli, Jean-Louis Capezzali, Isaac Rodriguez et Richard Galler.


Retour aux fondamentaux en soirée à l’Abbaye Saint Michel de Cuxa, centre gravité du Festival de Prades, avec un programme intitulé «Soirée au Gewandhaus de Leipzig ». Après quelques extraits de l’Offrande musicale de Bach par Gérard Poulet, Felix Renggli, Jérôme Pernoo et Karine Selo (clavecin), Philippe Bianconi fait alliance avec le Michelangelo Quartet (photo). Herman Prey n’avait pas par hasard fait du pianiste français l’un de ses accompagnateurs de prédilection pendant près d’une décennie. Magnifique soliste dont la France commence enfin à prendre toute la mesure, Bianconi possède aussi un sens inné du dialogue musical et fait merveille en musique de chambre. Pour preuve le Quintette op 44 de Schumann. L’ardeur du propos ne s’y exprime jamais au détriment de la clarté et de l’équilibre et le In modo d’una marcia se garde de bien de trop forcer dans la noirceur : un Opus 44 magnifié par le plus bel esprit chambriste, passionné et tendre, poétique à souhait.


Toujours aussi fréquentée (environ 120 élèves de nationalités très diverses cette année), l’Académie internationale de musique de Prades compte de magnifiques professeurs. Avec Hagai Saham, Stephan Picard, Véronique Bogaerts, Christian Altenburger (violons), Nobuko Imai, Paul Coletti (altos), Arto Noras, et Jérôme Pernoo (violoncelles), huit d’entre eux s’unissent pour terminer cette soirée leipzigoise de radieuse façon avec l’Octuor op 20 de Mendelssohn. Oeuvre chère aux programmes du Festival de Prades, elle se déploie avec une parfaite alliance de ferveur et d’esprit classique, vibrante des promesses inouïes d’un créateur encore adolescent. Un Scherzo-Allegro leggierissimo enlevé de façon aussi féérique et impalpable ne pouvait qu’être bissé – ce qui fut fait, pour le bonheur de tous !



Alain Cochard

Festival de Prades, abbaye Saint Michel de Cuxa, église de Vinça, les 3 et 4 août 2011



59e Festival de Prades (jusqu’au 13 août), programme détaillé sur : www.prades-festival-casals.com

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Photo : DR

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