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42e Festival de Quatuors à cordes du Luberon – Accent russe – Compte-rendu

Quatre décennies d’amour du Quatuor, avec des hauts et bas, voilà de quoi faire le tour de la planète cordes, et de donner à réfléchir sur la quadrature du cercle que représente cette forme parfaite, et infiniment adaptable aux lieux les plus divers. Depuis quelques années, Hélène Caron-Salmona et son mari Thierry ont repris en main le profil de la manifestation et le dessinent avec autant de rigueur que de passion.

Ici l’émotion engendrée par la grâce des lieux dans lesquels cette hydre musicale se glisse, puisqu’il s’agit du beau Lubéron et de ses nombreux joyaux architecturaux et acoustiques, tels Silvacane, Goult, Saignon – on a moins aimé cette année l’église de Cabrière, au son plus engorgé – ne saurait l’emporter sur l’intelligence qui permet de se repérer dans l’énorme somme abordée. Des thèmes, puisqu’il en faut pour guider la sensibilité et l’affûter, permettent donc de sérier les programmes et de leur donner plus de sens, tout en se demandant si l’art du moment ne se suffit pas à  lui-même, plutôt que chercher à tout prix une évolution, qu’elle soit de forme ou de fond.

Quatuor Sine Nomine © Anne-Laure Lechat

Joli et subtil titre, donc, que cet « Accent russe », qui régit le festival de l’année, et permet d’accrocher à des pièces majeures de la musique de quatuor, d’autres réminiscences, d’autres influences, pour mieux en capter les retombées. Chostakovitch, Tchaïkovsky, Borodine pour les maîtres, mais aussi de plus rares comme Prokofiev, qui ne se consacra que peu à cette forme, ou totalement méconnus comme Arthur Lourié (1892-1966). Et la vague européenne dominée par Beethoven et ses « Razoumovsky », puis le si cosmopolite Stravinsky.
 
En lice, cette année, neuf formations allant des jeunes groupes à des noms prestigieux dont le festival est familier, tels les Quatuor Debussy et Modigliani. Ce qui donne des variations de style et d’approche qui ouvrent des horizons et renouvellent l’écoute. Quoi de commun, par exemple, entre la force conquérante des Auryn  et la vivacité des Sine Nomine, ces Suisses de Lausanne qui depuis près de trente ans, explorent les mondes sonores les plus variés, avec une sorte de fraîcheur inchangée ? On l’a d’emblée goûtée à Silvacane, lorsqu’ils se sont lancés dans le délicieux Quatuor op. 33 n°3, « L’Oiseau », de Haydn - là rien de russe, juste l’essentiel - : une légèreté brillante, un équilibre complexe qui précédait le dur et grinçant Quatuor n°2 de Prokofiev, articulé de provocantes secousses rythmiques, sorte de pas de quatre de soldats de bois. Debussy, pour finir, et la grâce transparente de son Quatuor en sol mineur dont on aurait aimé ressentir un peu plus la sensualité fluide.

Le Quatuor Auryn © aurynquartet.com
 
Les Allemands du Quatuor Auryn, eux, ont aussi joué les contrastes les plus appuyés, dans tous les sens du terme. Dès le Quatuor Opus 33 n°1 de Haydn, aux consonances d’Europe centrale bien présentes, on était impressionné par leur force de frappe, une sorte d’harmonie massive, une volonté d’imposer un style plus que d’ouvrir des pistes. Ensuite, amusante découverte de quelques-unes de ces piécettes écrites par les plus fameux musiciens russes, sorte de Schubertiades dites « Vendredis de Belïaev », où chacun apportait son écho chez le riche mécène, de Liadov à Borodine et Glazounov, et qui commençaient toujours par l’exécution d’un quatuor de Haydn. Charmantes bricoles, qui surprennent par leur caractère enjoué et presque mondain ; une manière de récréation musicale.
 
En deuxième partie, retour aux choses sérieuses avec le Concertino pour quatuor à cordes de Stravinski, presque aussi acéré que le Prokofiev de la veille, musique pure que les quatre musiciens ont disséquée avec virtuosité. Restait, pour finir, l’un des rois de la musique de quatuor, le n°2 de l’Opus 59 de Beethoven, dédié au comte Razoumovsky, et de ce fait parcouru d’un élan russe qui ajoute à la force beethovénienne une couleur de terroir inusitée. Et là, une fougue conquérante, presque oppositionnelle, pour donner à la musique déjà si volontaire de Beethoven un caractère plus impérieux encore. Notamment pour le populaire 3e mouvement. Elan irrésistible, encore amplifié par l’acoustique réverbérante du lieu, l’Eglise de Cabrière, mais dont l’extrême vigueur confinait à la violence, alors que l’on a pu qualifier Beethoven de poète des sons. Un langage franc et carré, une autre façon de faire entendre le quatuor. Et c’est là l’un des atouts maîtres de ce riche festival, qui s’offre le luxe d’une réflexion musicale approfondie et parfois surprenante.
 
Jacqueline Thuilleux

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Abbaye de Silvacane, 20 août ; église de Cabrière d’Avignon, 21 août 2017 / Festival international de quatuors à cordes du Luberon, jusqu’au 3 septembre 2017 / www.quatuors-luberon.org
 
Photo Quatuor Sine Nomine © Anne-Laure Lechat

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