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3ème Festival Piano au Musée Würth – Carrefour des générations – Compte-rendu

Inauguré par Jean-Marc Luisada, parrain de la 3e édition, le festival alsacien Piano au Musée Würth aura comblé les désirs des amoureux de clavier en les conviant à des concerts de haute gastronomie pianistique. Des rendez-vous où pouvait se faire sentir, cette année tout particulièrement, la diversité d'une programmation ouverte à toutes les générations d’interprètes. Que ce soit avec la nouvelle, incarnée par un Alexandre Kantorow qui n'en finit pas de susciter l'enthousiasme, ou celle des aînés (Marie-Josèphe Jude en piano classique et André Manoukian en piano jazz par exemple), cette cuvée 2018 fut à n'en pas douter une belle réussite.
 
Une programmation intergénérationnelle à l'image du dernier après-midi, où le duo Emmanuel Coppey/Guillaume Bellom, respectivement 19 et 26 ans, partageait l'affiche avec une des figures tutélaires du piano français : Philippe Entremont (photo).
 
Dans la Sonate pour violon et piano n°2 de Brahms, qui ouvre leur programme, les deux anciens élèves du Conservatoire de Paris font déjà preuve d'une belle complicité ; tandis qu'Emmanuel Coppey fait sonner son violon, un Amati de 1640, avec une rondeur de son savoureuse, Guillaume Bellom se joue des difficultés techniques de sa partie sans jamais couvrir son partenaire, ce qui chez Brahms relève de l'exploit. Passée la Sonate de Nino Rota, dont la mélancolie un peu mielleuse ne semble pas inspirer nos interprètes outre mesure, voici venir la Sonate pour violon et piano n°7 de Beethoven, véritable plat de résistance du programme. Ici encore Emmanuel Coppey et Guillaume Bellom frappent l'auditeur par une complicité que l'on dirait mûrie par les ans, comme si ces deux camarades avaient toujours joué ensemble. Mêmes intentions musicales, mêmes directions mélodiques : tout concourt dans leur jeu à nous donner la sensation d'une compréhension mutuelle et intime de l’œuvre.
 
En début de soirée c'est au tour de Philippe Entremont de tenir la scène, devant un parterre d'admirateurs venus spécialement pour l'occasion, et qui ont en mémoire les nombreux enregistrements du maître faisant référence.
À l'écoute de la partie Beethoven du programme, constituée de la Sonate op.109 et de l'Appassionata, un peu de déception point tout de même. En effet, bien que Philippe Entremont reprenne parfaitement à son compte l'esprit héroïque qui parcourt la musique, des approximations techniques viennent quelque peu altérer la fluidité du discours musical et rendre périlleuse l'ascension de ces deux sommets du répertoire. Après les pages tourmentées d'un Prestissimo mené tambour battant, le thème de l'Andante molto cantabile de la 30e Sonate offre à l'auditeur une respiration bienvenue, avec son chant choral baigné de ferveur religieuse. Dans l'Appassionata, on s'étonne d'abord de la vitesse des tempi de P. Entremont et, connaissant la difficulté de cette partition datant de 1804-1805, on ne peut s'empêcher de saluer ses prises de risques, notamment dans le dernier mouvement. Mais l'impression générale demeure assez brouillonne et nous laisse sur notre faim. 
 
Heureusement que la Sonate D.960 de Schubert, qui clôt le programme, nous rassure quant à la sûreté de ses moyens techniques et la solidité de sa mémoire. L'interprétation du premier mouvement a quelque chose d'enjoué qui rappelle la spontanéité des Moments Musicaux et qui contraste bien avec la noirceur de l'Andante suivant. Celui-ci restera d'ailleurs comme l'un des moments les plus émouvants de la soirée, car du haut de ses plus de soixante ans de carrière, Philippe Entremont semble y atteindre une forme de sérénité surplombante, inaltérable.
 
Samuel Aznar  

Erstein, Musée Würth, 18 novembre 2018
 
Photo © Studio18

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