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3 Questions à Isabelle Faust - Sous le signe de Berg

Isabelle Faust n’en finit pas de nous surprendre : elle a enregistré son dernier disque (1) avec Claudio Abbado et revient pour nous sur cette rencontre qui semble respectivement une évidence. Le 15 avril prochain à L’Opéra de Dijon, la violoniste sera aux côtés de Miklos Perényi et Kristian Bezuidenhout dans le Triple Concerto de Beethoven avec l’Orchestre de Chambre de Bâle dirigé par le tonique Giovanni Antonini, un ouvrage qui sera redonné le 16 à Bâle et le 17 avril à Bruges.

Votre première rencontre avec Abbado a eu lieu autour du Concerto de Beethoven ?….

Isabelle Faust : Oui, c’était en 2008, et elle a eu lieu à l’initiative du Mahler Chamber Orchestra, un ensemble qu’Abbado a fondé et avec lequel j’avais déjà joué sous la direction de Daniel Harding. Abbado avait écouté mon premier enregistrement du Concerto de Beethoven et il lui avait plu. Nous nous sommes retrouvés avec l’orchestre en Italie. Tout cela était très excitant pour moi, d’autant que je n’avais jamais rencontré Abbado auparavant, ni assisté à aucune de ses répétitions. Je ne savais donc pas du tout à quoi m’attendre. D’emblée il a été évident que nous allions dans la même direction musicale et travailler avec lui s'imposait. Nos rapports ont été immédiatement très simples. J’ai compris au bout d’un certain temps qu’il attendait du soliste des initiatives et des indications, et que son rôle était d'abord d'accompagner, que toute suggestion musicale était donc bienvenue, qu’il fallait décider des choses ensemble.

C’est très agréable cette relation musicale équilibrée, où chacun se soucie de l’autre. Après cette première expérience il m’a demandé de jouer le Concerto à la mémoire d’un Ange d’Alban Berg la saison suivante, cette fois avec l’Orchestra Mozart, avec l’idée de le capter en concert. Durant les répétitions du Berg, et comme nous cherchions un autre concerto pour compléter le disque, il me proposa d’enregistrer aussi le Concerto de Beethoven. De mon côté j’avais déjà gravé l’œuvre auparavant ; je me demandais si je n’allais pas m’y répéter . Il voulait absolument graver le Beethoven car il manquait à sa discographie officielle : « tu comprends je l’ai dirigé souvent pour Isaac Stern et pour d’autres violonistes, mais ils l’avaient tous déjà enregistré ».

Pour Abbado les répétitions sont essentielles. Lorsqu’il se présente devant eux, il a déjà accompli un fantastique travail sur la partition. Avec lui, discuter autour de la partition est une véritable expérience. Pour le Concerto de Beethoven Il s’était procuré la nouvelle édition, et se montrait particulièrement attentif aux accents, aux nombreux signes musicaux qui étaient absents des éditions précédentes. Mais devant l’orchestre, tout ce travail en amont est intégré à la recherche de la grande ligne, d’une certaine simplicité musicale ; il parle peu, mais la communication passe alors par le regard, c’est fascinant. Il connaît parfaitement les musiciens de ses orchestres, que ce soit Lucerne, Le Mahler Chamber ou l’Orchestra Mozart.

Quand avez-vous abordé pour la première fois le Concerto de Berg ?

I. F. : Assez tôt dans mon cursus. C’est une œuvre qui m’a tout de suite intéressée. J’ai toujours eu un faible pour les partitions qui ne se concentrent pas d’abord sur la virtuosité, où le soliste n’est pas seulement accompagné par l’orchestre mais où une fusion s’opère entre les deux. Je pense que cela provient en partie de mon goût pour la musique de chambre. Très jeune j’ai joué dans un quatuor et cela m’a donné l'habitude et l'envie de dialoguer avec les musiciens.

Il me souvient très bien que durant mes études la question se posa : quel prochain concerto désirais-je apprendre, le Concerto de Tchaïkovski ou le Concerto de Berg. Je n’ai guère hésité, le Berg me semblait bien plus urgent et en même temps bien plus proche pour la jeune musicienne que j’étais. Je l’ai joué pour la première fois à l’âge de dix-huit ans ! Et je l’ai souvent interprété depuis. C’est vraiment avec Abbado que je me suis trouvée dans cette œuvre. Il la dirige avec un sens de l’expression qui ne peut que vous inspirer. Le sous-texte du Concerto, l’agonie de Manon Gropius – on entend des cris de douleur de l’âme dans le second mouvement,- Abaddo la prend au pied de la lettre. Mais il saisit aussi la grande douceur, toute en transparence, qui anime une grande part de l’œuvre. Et lorsque le choral arrive, on dirait vraiment que Berg l’a écrit pour lui ! D’ailleurs toute la musique qu’il touche finit par tendre vers cette sérénité transfigurée, mais à force de naturel. On n’a jamais l’impression qu’il force la musique. Il se laisse transporter par elle et tout le monde le suit. Le Concerto de Berg est une œuvre qu’il porte en lui.

A Dijon, vous allez jouer le Triple Concerto de Beethoven. Vous gardez vos cordes en métal ?

I. F. :Dans ce cas précis oui, d’abord parce que l’Orchestre de chambre de Bâle ne joue pas totalement sur instrument d’époque, et le pianiste joue lui aussi sur un instrument moderne. Mais lorsque, plus tard dans la saison, j’interpréterai l’œuvre avec l’Orchestre du Siècle des Lumières, alors je monterai mes cordes en boyau. Il est extrêmement important pour moi de me confronter à ces deux optiques régulièrement, et pas seulement au concert, au disque aussi. Ainsi j’ai enregistré les Sonates et le Quatuor avec piano de Weber avec des cordes en boyau. J’ai également gravé deux Trios de Beethoven, ces deux disques seront les prochains à paraître. Et en avril, ce sera les deux Concertos de Bartok avec l’Orchestre de la Radio Suédoise et Daniel Harding. Et avec Claudio Abbado, au concert, nous allons jouer essentiellement Mozart et Bach .

Propos recueillis par Jean-Charles Hoffelé, le 22 mars 2012

(1) Berg : Concerto à la mémoire d’un Ange, Beethoven : Concerto pour violon. Isabelle Faust, Orchestra Mozart, Claudio Abbado /1 CD Harmonia Mundi HMC902105.

Site de l’Opéra de Dijon : www.opera-dijon.fr  

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Photo : Felix Broede / Harmonia Mundi
 

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