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3 questions à Frédéric Ledroit - à propos de la création de son Requiem

Le dimanche 24 juin à 16 heures, en l'église de la Madeleine à Paris – à l'instar de celui de Fauré – sera créé le Requiem de Frédéric Ledroit, organiste de la cathédrale d'Angoulême : dix années intenses de travail et d'engagement spirituel, étape sans équivalent dans la vie d'un compositeur.

  Comment en vient-on à écrire une messe de Requiem en ce début de XXIe siècle ?

Frédéric Ledroit : J'ai toujours été attiré par les grands textes sacrés et les ouvrages philosophiques, intemporels, cherchant avant tout, en l'occurrence, un moyen de me rapprocher de ma foi à travers un pèlerinage intérieur – souvent sur fond de conflit, entre convictions et doutes, cependant que je trouve raisonnable de croire en Dieu.

Pour le croyant que je suis, la mort n'existe pas : la vie terrestre est l'enfance de l'âme. Un Requiem, c'est d'abord une œuvre monumentale pour la vie. J'ai choisi le latin par goût, l'estimant plus musical que le français. Comme dans ma Messe pour un siècle nouveau, les prières sont réparties en deux groupes : intimes (Pie Jesu, Ave Maria, Lux aeterna…) ou collectives. Ce qui dans l'inspiration est le plus insatisfaisant, c'est qu'elle vient toujours quand on s'y attend le moins. Si j'ai beaucoup déchiré de fausses bonnes idées, lorsque j'écris une page que j'estime réussie, je peux dire que cela vient d'un seul coup, sans rature, dans un seul élan, comme si cela m'était dicté, comme si je ne faisais que réécrire quelque chose qui avait toujours existé.

  J'ai pu constater dans mon métier d'organiste que la voix pouvait être le plus beau des instruments, et le pire ! En écrivant des œuvres vocales de caractère sacré, j'assouvis le besoin d'entendre de belles prières interprétées par des ensembles de qualité. La communion avec le divin ne peut se satisfaire de médiocrité et le beau peut élever les âmes. La musique sacrée doit avant tout bouleverser. Elle ne doit pas se réduire à ces infirmités musicales que l'on nous impose trop souvent le dimanche. J'ai bien conscience qu'une telle œuvre n'a pas sa place à l'office – elle est trop longue (une heure), en latin et non destinée à être chantée par la foule. Mais si elle n'est pas cultuelle, elle demeure foncièrement spirituelle, au sens le plus large, en même temps qu'accessible à tous. La prière n'est pas un état passif mais un acte volontaire, un travail intérieur, une recherche de la perfection sensorielle vers un état de grâce.

Cette musique doit pouvoir être entendue…

F. L. : Une fois la partition écrite, il restait en effet à trouver le lieu pour la création, les interprètes et le financement – soit une bonne année de rencontres et de négociations, ces temps de crise ne facilitant pas les projets artistiques ! Cela a été l'occasion d'approcher personnalités politiques et patrons d'entreprises. J'ai été surpris de la bienveillance de la plupart d'entre eux et de leur réel intérêt pour le projet, sur le plan aussi bien musical qu'éthique ou philosophique. Beaucoup se sont engagés, tant au niveau du public (Département de la Charente, Région Poitou-Charentes, Ministère de la Culture) que du privé (Hennessy, Leroy Somer, Rondinaud).

  Je connaissais déjà le groupe vocal Pro Homine et son excellent chef Marie-Christine Pannetier pour avoir joué avec eux la Petite Messe solennelle de Rossini, de même que le baryton italien Ciro Greco : nous avons donné ensemble des concerts en France et en Italie. Quant au pianiste Jean-Pierre Ferey, partenaire de longue date, nous nous sommes déjà produits en concert et avons enregistrés trois CD pour orgue et piano.

  C'est mon ami François-Henri Houbart – titulaire du grand orgue de la Madeleine et qui pour l'occasion jouera l'orgue de chœur – qui m'a proposé de tenir le grand orgue ce 24 juin, pour la création de mon Requiem. Avec Marie-Christine Pannetier et Jean-Pierre Ferey, nous avons organisé une audition en octobre 2012 pour sélectionner les trois solistes qui manquaient : Jeanne Crousaud (soprano), Anna Destraël (mezzo-soprano) et Mathieu Muglioni (ténor). À ma connaissance, l'instrumentation de l'œuvre est unique : double chœur, quatre solistes, piano et deux orgues alternés – avec retour audio-vidéo entre tribune et chœur, sans quoi le défi serait encore plus redoutable !

  … et réentendue, si l'on veut lui éviter le sort de tant d'œuvres contemporaines, créées puis réduites au silence.

F. L. : A l'occasion de la création parisienne, un enregistrement – chez Skarbo, comme tous mes autres disques – sera réalisé durant les nuits des 22 et 24 juin. France Télévisions prépare un documentaire qui sera diffusé sur France 2 puis édité en DVD début 2013. La partition, car il est essentiel que les musiciens désireux de donner l'œuvre, intégralement ou partiellement, puissent facilement se la procurer, est d'ores et déjà disponible sur mon site.

  Il y aura aussi plusieurs occasions de réentendre ce Requiem en concert au cours de l'année 2013 : à la cathédrale de Sarlat le 17 mars, à Bordeaux les 23 et 24 mars, en avril en Charente à l'église de Ruffec et à Saint-Léger de Cognac, à Sainte Radegonde de Poitiers et en Charente-Maritime. Le Requiem est par ailleurs programmé à l'étranger pour 2012-2013 : en Italie (octobre 2012 à Bari, avril 2013 à Bologne), en Allemagne (Essen), en Pologne (Gdansk), au Japon, à Pittsburgh (États-Unis)…

  Propos recueillis par Michel Roubinet le 15 juin 2012

F. Ledroit : (création)
Dimanche 24 juin - 16h
Paris, église de la Madeleine
Entrée libre

Frédéric Ledroit
Dimanches musicaux de la Madeleine

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Photo : DR
 

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