Journal

2ème Festival de Pâque d’Aix-en-Provence – Plénitude, style, caractère – Compte-rendu

Journée tout à l’honneur des interprètes féminines au Festival de Pâques d’Aix mercredi 16 avril. A 18h, les amateurs de lied et de mélodie convergent vers l’intimiste Théâtre du Jeu de Paume pour le récital de Christiane Karg. Renaud Capuçon tenait beaucoup à la présence de la soprano au 2ème Festival : comme on le comprend ! Dans la tradition de grandes aînées, l’artiste allemande conjugue la pratique du répertoire lyrique (elle est membre de la troupe de l’Opéra de Francfort) à une fréquentation régulière de l’oratorio et du lied. Le programme Schoek, Wolf, Schœnberg, Strauss et Debussy qu’elle offre avec la complicité de Malcolm Martineau aura été un vraie révélation pour ceux qui n’avaient pas encore eu l’occasion de l'entendre dans ce répertoire.

Programme intelligemment construit : le prégnant Nachruf (tiré de l’Opus 20 de Schoek) nous embarque dans un beau voyage poétique. Suit un bouquet de quatre lieder de Wolf où l’on est séduit par la sensibilité d'une diseuse qui s'exprime sur le registre de la tendresse (Ach, des Knaben Augen) aussi bien que celui de la douleur (magnifique Mühvoll komm ich !). Que cela sonne juste – et avec quel style ! A un peu plus de trente ans, Christiane Karg montre un art d’une déjà admirable plénitude. Il faut reconnaître que le piano de Martineau l'aide beaucoup, continûment attentif à la moindre inflexion de la voix. On n'admire pas moins le sens des climats et la justesse des caractères que la chanteuse et son partenaire montrent ensuite dans les pages expressives et dépouillées de l’Opus 2 de Schœnberg.
Surprise - et supplément au programme ! –, après une courte pause Karg et Martineau sont rejoints par Renaud Capuçon pour Morgen de Strauss où le violon s’unit idéalement à la couleur ambrée de la voix. Un prélude idéal à une série de cinq lieder du même auteur (September, Leises Lied, Freundliches Vision, Alleseelen, Heimliche Aufforderung) que la soprano habite avec une élégance dénuée de toute préciosité. Après deux étreignants Debussy (Recueillement, La mort des amants), l’auteur de Capriccio a le mot de la fin avec un Beim schlafengehen très simplement envoûtant.

Lisa Batiashvili et Yannick Nézet-Séguin / photo © Caroline Doutre

En déplaçant l’horaire des concerts du soir de 20h à 20h30, le Festival des Pâques 2014 a corrigé le défaut d’organisation que l’on pouvait reprocher à la première édition. On a tout le temps désormais de flâner un peu avant de se rendre au Grand Théâtre de Provence. Soliste du Concerto pour violon de Beethoven, Lisa Batiashvili a pour partenaires ce soir-là l’Orchestre Philharmonique de Rotterdam et son directeur musical Yannick Nézet-Séguin. Une suprise atttend ici aussi le public : la violoniste géorgienne a choisi les cadences écrites par Schnittke pour l’Opus 61.

Intonation parfaite, sonorité d’une pureté inouïe, mais aucune froideur toutefois dans une interprétation décantée dont l’impact poétique s’exerce à plein grâce à l’entente avec le maestro québécois. Soliste et chef portent l’ouvrage sur les cimes avec une ample respiration commune et un naturel parfait. Dans un tel contexte les étonnantes pages de Schnittke s’intègrent sans le moindre hiatus. Enthousiaste accueil d’un public nombreux que la violoniste gratifie d’une tendre mélodie populaire géorgienne (avec accompagnement des seules cordes de l’orchestre) où elle tire de son Guarnieri des sonorités d’une transparence miraculeuse.
 

Yannick Nézet-Séguin / photo © Caroline Doutre

Au tube concertant succède le tube symphonique, mais nul ne se plaindra d’une 6ème Symphonie de Tchaïkovski telle que celle proposée par Yannick Nézet-Séguin. Le Philharmonique de Rotterdam, ce n’est un secret pour personne, n’était pas sorti dans le meilleur état du long règne de Valery Gergiev( 1995-2008) et l’on admire les progrès accomplis par la formation depuis l'arrivée d’un des meilleurs chefs de la nouvelle génération. S’il est une qualité à saluer avant tout chez la phalange néerlandaise, c’est son exceptionnel sens du collectif. Il aide le chef à affirmer une conception aussi foisonnante qu’originale d'un opus rebattu. A d’autres les lourdeurs et les excès commis au nom du qualificatif « Pathétique ». Nézet-Séguin s’attache aux plus infimes nuances dynamiques d’une partition qui montre sous sa battue attentive et inspirée des détails insoupçonnés, dans le vaste premier mouvement en particulier. Au risque d'être taxé de chauvinisme, on salue les merveilles qu’accomplit la clarinette du Français Julien Hervé dans une petite harmonie où figure aussi sa compatriote la flûtiste Juliette Hurel. Le chef saisit les ambiguïtés de la valse et, revenant à l’esprit du scherzo, se garde de la raideur trop martiale que montre parfois le troisième épisode. Un seul reproche : pour éviter tout applaudissement intempestif à la fin de celui-ci (et c’est réussi !), Nézet-Séguin enchaîne immédiatement avec l’Adagio lamentoso. On eût aimé qu’il laisse un peu le pouls de l’interprétation redescendre avant d’attaquer un finale conduit avec un lyrisme sobre et sans une once de larmoiement.

Alain Cochard
 
Aix en Provence, Théâtre du Jeu de Paume, Grand Théâtre, 16 avril 2014.
2ème Festival de Pâques d’Aix, jusqu’au 27 avril 2014. Programmation et lieux : www.concertclassic.com/festival/festival-de-paques-daix-en-provence

Photo Christiane Karg © Caroline Doutre

Partager par emailImprimer

Derniers articles