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22e Festival d’orgue de Saint-Eustache - Eric Lebrun interprète et compositeur Compte-rendu


Ouvert le 18 juin par Francesco Filidei, grand habitué de l'église des Halles, en collaboration avec le Festival Agora / Ircam, le 22ème Festival de Saint-Eustache s'est poursuivi avec deux concerts de Jean Guillou (dont une présentation de l'instrument), avant de recevoir les 6 et 12 juillet Weicheng Zhao (Chine) et Jörg Abbing (Sarrebruck – avec notamment sa transcription des Nocturnes de Debussy). À mi-chemin, le 29 juin, Éric Lebrun offrait un programme mi-hommage, mi-contemporain, la place du compositeur prenant une importance de plus en plus sensible dans le parcours de l'interprète.

Ouverture éclatante avec le Final de la Première Sonate d'Alexandre Guilmant, premier virtuose itinérant moderne de l'orgue (États-Unis notamment), disparu il y a cent ans : page d'apparat et parfait faire-valoir d'un grand instrument. Lebrun, dont on put observer, à la console de la nef, combien tout le corps – ce qui n'est pas si fréquent à l'orgue – est sollicité tant en force qu'en souplesse dans la restitution instrumentale, en offrit une interprétation époustouflante d'aisance, maîtrisant à merveille la distance (et « l'inertie » qui acoustiquement en découle) entre la console et la lointaine source sonore.

Liszt, né il y a deux siècles et auquel Éric Lebrun et Marie-Ange Leurent on dédié un double CD sur le rare et somptueux Stiehr-Mockers (1852) de Barr (Bayard Musique S 447989), suivit avec Évocation à la Chapelle Sixtine, aussi monumentale que sobrement chambriste, presque franciscaine, « forçant » l'auditeur à une écoute attentive tant la dynamique et les nuances du jeu s'y paraient de frémissantes subtilités. Puis en guise de transition avec les contemporains : Jehan Alain, né alors que Guilmant disparaissait, avec les fameuses Trois danses – sa plus grande œuvre (Lebrun a enregistré l'intégrale Jehan Alain, Naxos 8.554113, 1995). Même engagement absolu de l'interprète, coloriste d'une inventivité exclusivement au service du texte, exempt d'artifices, émotionnellement prégnant et de nouveau (Deuils) sollicitant l'auditeur jusqu'à la limite de son attention. Climat envoûtant, décuplé par l'édifice, résultant notamment d'une mobilité dans la déclamation et l'articulation, qualité de plus en plus marquée chez Lebrun pour un surcroît de vie et d'intensité : rubato infinitésimal mais fondamental et suggestif, sorte d'agogique expressive, sans rien de systématique, redonnant à un texte musical connu une quasi-imprévisibilité qui porte et révèle ce texte au fur et à mesure de l'écoute – un presque rien d'indéfinissable, cette manière des grands d'animer librement les notes entre deux barres de mesure intangibles, art du chant libre, stylistiquement exigeant, mise en lumière de l'instant poétique comme de l'architecture d'une œuvre.

On put ensuite réentendre, en présence du compositeur qui la présenta, la formidable et difficile Improvisation Kandinsky 1914 de Valéry Aubertin, dédiée à Lebrun (1993) et enregistrée en 2005 dans un double CD consacré à Aubertin (Triton TRI 331151), introduction idéale à son œuvre d'orgue. Pour refermer ce programme, Lebrun joua en création sa Suite op.18 (1999-2011). Deux pages d'une puissante complexité – Mélusine et La Folie Tristan (à Bruce Westcott et à Valéry Aubertin) – saisissantes lors de cette première écoute, inévitablement sous l'emprise de la découverte et consciente d'une nécessaire réécoute (l'œuvre pourrait être bientôt publiée – et sera sans doute enregistrée) – enserrent une « miniature » d'une transparence irisée : Le palais de cristal (au peintre Paul Rambié). Inspirée, pour la manière, d'une page d'André Raison jouée lors de sa présentation par Lebrun, cette partie centrale s'était fixé pour objectif de reproduire en termes contemporains cette trompeuse « simplicité » des moyens. La clarté même, mouvante et démultipliée au gré d'une matière et de timbres enchanteurs – le tout infiniment plus écrit qu'il n'y paraît, sans chercher cependant à tromper l'oreille et sans peser le moins du monde. Une pure vision de maître verrier.

Michel Roubinet

Récital d'Éric Lebrun lors du 22ème Festival de Saint-Eustache, Paris, 29 juin 2011.

Sites Internet :

Éric Lebrun

http://www.ericlebrun.com/

Festival d’orgue de Saint-Eustache 2011

http://www.orgue-saint-eustache.com/Festival.htm

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Photo : DR

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