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16ème Festival Messiaen au Pays de La Meije - Maîtres et disciples - Compte-rendu

La 16e édition du Festival Messiaen a choisi pour thématique « Le jardin anglais de Messiaen au Pays de la Meije », mettant en lumière la filiation entretenue entre deux disciples du compositeur français. Le premier, Alexander Goehr (né à Berlin en 1932, fils du chef d’orchestre Walter Goehr, émule de Schoenberg) suivit son enseignement en auditeur libre au CNSM de Paris et prit ses distances avec le sérialisme dogmatique ; le second, George Benjamin (né à Londres en 1960) fut l’un des derniers et plus brillants élèves du Maître, mais se perfectionna ensuite à l’Université de Cambridge auprès d’Alexander Goehr. Leur rencontre à La Grave constituait un événement exceptionnel, exemple d’une amitié à la fois musicale et personnelle cimentée par des souvenirs communs malgré une indépendance d’esprit et des différences stylistiques. Une table ronde en leur présence, animée avec tact par le musicologue Eric Denut, a constitué un moment fort du Festival par la richesse des informations et la pertinence des échanges sur tout un pan de la musique du XXe siècle.

Dans l’église du Chazelet, perchée au sein d’un village face au glacier de La Meije, le concert en apparence austère donné par la violoniste Hae-Sun Kang et la violoncelliste Ophélie Gaillard marie avec bonheur les timbres des deux instruments. Dans la création mondiale du duo de Philippe Hurel intitulé Trait d’union, les deux interprètes font preuve d’une inventivité rythmique constante : la référence au jazz, omniprésente, offre des figures d’une variété sans cesse renouvelée. D’une durée proche d’une demi-heure, la pièce aurait gagnée à plus de concision, mais la fantaisie et la liberté de l’improvisation ne manquent pas de séduire par la virtuosité de l’écriture. Dans le Duo op 7 de Kodaly, Ophélie Gaillard fait preuve d’un lyrisme à fleur de peau et d’une plénitude sonore qui contrastent avec le caractère apollinien de l’archet de sa partenaire. Hae-Sun Kang, dans les Trois Miniatures pour violon solo de Benjamin (2002) à l’alliage subtil, conjugue la perfection technique à l’intensité d’une exécution très maîtrisée. Plus sensible, Ophélie Gaillard rend à la pièce de Jean-Louis Florentz : L’Ange de Tamaris op 12 (1995), son caractère méditatif et sa sensualité sur son Goffriller de 1737.

Retour à l’église de La Grave, lieu emblématique du Festival, pour le récital de Florent Boffard (photo) qui démontre, par son jeu incisif et pur, les liens qui l’unissent avec l’œuvre des compositeurs de notre temps (Cloches d’Adieu, et un sourire de Tristan Murail (1992), composé après la mort de Messiaen, et surtout Shadowlines, six canonic preludes for piano (2001) de Benjamin en référence à Webern mais d’un langage totalement réinventé). La lecture trop réfléchie des Valses nobles et sentimentales de Ravel manque de naturel alors que celle de la Suite op 25 de Schoenberg se révèle d’une transparence, d’une finesse et d’une expressivité ensorcelantes, réalisant l’alliance de l’analyse et de la synthèse. La Sonate n°4 de Scriabine, lumineuse et emportée d’un seul élan, culmine dans l’apothéose finale tendue comme un arc. Le soir, François-Frédéric Guy aborde les redoutables Trois Etudes pour piano solo de Benjamin (1982-1986) avec un engagement et une puissance sonore que couronne un rag humoristique totalement déstructuré. La même urgence se retrouve dans les Trois mouvements de Petrouchka de Stravinski et surtout Le Sacre du printemps dans la version à 4 mains avec la complicité expérimentée de Florent Boffard.

Il faut une nouvelle fois louer la qualité d’une programmation que Gaëtan Puaud, directeur artistique du Festival, contribue à perpétuer avec une fidélité, une convivialité et un enthousiasme qui, au fil des ans, ne se démentent pas dans ce cadre grandiose tant apprécié d’Olivier Messiaen.

Michel Le Naour

Eglises du Chazelet et de La Grave, 1er et 2 août 2013

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Photo : DR
 

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